Seul au fond des bois

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Dean Starton n’en était pas à sa première escapade en forêt. Il avait l’habitude d’y aller pour chasser et pécher pendant plusieurs journées complètes, dans le but de retourner partiellement à l’état sauvage. Peu de personnes dans la région seraient capables d’une telle prouesse physique. En effet, il avait pris, étant enfant, des stages de survie avec son père du fait de sa passion pour la nature. C’était d’ailleurs cette même passion qui l’avait entrainé dans le travail de sylviculteur, bien peu connu mais non moins important. Il était paré à presque toute éventualité. Il n’allait donc pas s’imaginer ce qu’il allait vivre pendant deux jours interminables.
Le crépuscule arrivait. Dean avait déjà installé son campement depuis environ dix minutes. Il s’était arrêté devant un étang où la lumière orangée du crépuscule bordant l’eau calme ce qui en faisait un tableau digne d’un paysage des plus grands artistes. Il ramassa quelques feuilles séchées pour faire démarrer un feu. Il utilisa une technique qu’il avait apprise lors d’un de ses stages de survie. Le feu prit assez rapidement. Il ramassa quelques brindilles pour attiser le feu plus tard. Il avait amené avec lui un livre. Il appréciait peu les récits fantastiques mais ce roman de Dan Simmons l’avait captivé. Cependant, l’envie ne lui prenait pas de finir de le lire. Il avait l’esprit ailleurs.
Il décida finalement de profiter de la fraicheur de l’eau et de prendre un bain de nuit. Il connaissait toutes les espèces des divers poissons vivants dans cet étang et savait donc ce qu’il faisait. Il se déshabilla, posant ses vêtements près d’un tronc lui-même près de sa tente et entra dans l’eau. Il eu quelques frissons dans les premiers instants mais son corps s’habitua rapidement à la fraicheur de l’eau. Il nagea aussi loin qu’il put en prenant garde de ne pas trop s’éloigner pour revenir en vitesse en cas de problème. Il plongea plusieurs fois pour apercevoir le fond ainsi que la faune sous-marine mais la nuit l’empêchait de distinguer clairement les formes.
Au bout d’une vingtaine de minutes, étant essoufflé, il revint sur la rive. Arrivé à environ cinq mètres du bord, il aperçut un homme, assis par terre, regardant le feu et ajoutant même une brindille pour le préserver. Dean diminua son allure pour observer ce que l’homme faisait et trouver la raison de sa présence.
«  Qui êtes-vous  ?  »
Une lueur d’inquiétude se lisait dans le regard de Dean. Sa prudence naturelle, qui lui avait permis d’éviter de nombreuses expériences désagréable dans sa vie, lui faisait se poser des questions sur la nature de l’individu qui se tenait en face de lui. Que pouvait bien faire une personne saine d’esprit à cette heure-ci dans la forêt  ? Ce ne pouvait être qu’un voleur, un fugitif, un tueur ou… un chasseur, tout comme lui. Qui que ce soit, s’il se trouvait ici seul cela ne présageait rien de bon.
«  J’ai essayé de vous signaler ma présence mais vous étiez trop loin et vous plongiez, assura l’homme, aussi j’ai attendu que vous reveniez.  »
Dean pouvait voir grâce au feu que l’homme avait un visage très ovale, un nez qui pourrait presque être considéré comme aquilin, de petits yeux foncés, des lèvres très peu charnues et une chevelure mi-longue et claire s’apparentant à du châtain. On pouvait distinguer quelques taches de rousseur discrètes sur les joues. Il était beaucoup plus fin que lui qui avait le gabarit d’un videur de boîte de nuit.
«  Vous n’avez pas répondu à ma question.  »
«  Exact  ! Excusez-moi. Je me présente. Je m’appelle Steve Dinroy.  »
«  Et que faites-vous auprès de mon feu  ?  »
«  Je cherchais de la compagnie. Est-ce un mal  ?  »
Son comportement intriguait Dean mais il ne chercha pas à en savoir davantage sur cet homme pour le moment. Il prit sa serviette, s’essuya brièvement et approximativement et l’attacha autour de la taille.
«  Vous ne vous êtes pas présenté.  »
«  Dean, Dean Starton.  »
«  Enchanté, Dean.  »
«  Pourquoi êtes-vous ici ?  »
«  Je vous l’ai dit. Je cherchais de la compagnie.  »
«  Vous m’avez mal compris. Pourquoi êtes-vous dans la forêt  ? C’est un endroit dangereux la nuit.  »
«  J’aime la survie. Tout comme vous je pense. Je suis là depuis trois jours maintenant.  »
«  Depuis trois jours ? Dans ce cas, pourquoi n’avez-vous aucune affaire, aucun sac, aucune provision ? »
«  Je vous demande pardon.  »
«  Vous n’avez que vos vêtements et une gourde, vous n’allez pas me faire croire que vous êtes ici depuis trois jours. C’est impossible. Où sont vos affaires  ? Vous les avez laissées plus loin  ?  »
Steve eut un sourire gêné. Il mit longtemps à répondre, trop longtemps.
«  Je… je les ai perdues, il y a peu de temps.  »
«  Ce n’est pas la peine de mentir. Vous ne pouvez rien cacher à la nature.  »
«  Elles sont ailleurs. Elles ne risquent rien là où elles sont.  »
«  Je n’ai pas encore mangé. Vous voulez vous joindre à moi  ?  »
«  Volontiers. Je n’ai pas mangé non plus.  »
«  Du lapin au menu. Chassé aujourd’hui.  »
«  Parfait  !  »
Dean vida le lapin, le prépara, et le fit cuire sur le feu. Le repas se rythma de diverses anecdotes sur les vies de chacun et Dean se laissa convaincre par les récits de son hôte imprévu, ayant remit ses habits. Ils continuèrent de parler pendant plusieurs heures, puis la fatigue s’annonça. Ils éteignirent le feu avec de la terre pour éviter de faire de la fumée qui pourrait attirer diverses créatures de la forêt plus ou moins dangereuse. Dean s’installa dans sa tente une place, laissant Steve dormir dehors, et prit son roman. Il l’ouvra là où il avait placé son marque-page mais en resta là. Il le reposa et essaya de s’endormir au plus vite. Il y parvint. Steve, quant à lui, admirait la clarté des étoiles. Il était difficile de les apercevoir de cette manière en ville. Il resta plusieurs dizaines de minutes ainsi. Puis finit par se laisser sombrer dans les bras de Morphée.

Quand Dean émergea de son profond sommeil, il sentit la chaleur du soleil lui dorer les jambes tandis que sa main droite était froide et moite. Il ouvrit les yeux et dut les refermer aussitôt à cause du soleil. Il les plissa légèrement pour s’habituer peu à peu à la lumière. Une fois les yeux ouverts, il remarqua qu’il n’était plus dans sa tente. Il ne pouvait même pas l’apercevoir. Il remarqua aussi que sa main baignait dans l’étang. La hauteur du soleil dans le ciel l’interpella. Il devait être onze heures voire même midi. Il n’avait jamais dormi jusqu’à une heure aussi tardive. Il retourna à son campement. Il retrouva presque toutes ses affaires éparpillées un peu partout. Il les remit dans son sac qu’il endossa tout de suite. Steve ne se trouvait nulle part. Il prit sa gourde, la remplit de l’eau de l’étang et se mit en route. Il avait sa tente, son couteau de chasse et un illustre inconnu à retrouver.
Dean suivit des traces laissés aux sols. Ces traces laissaient penser que quelqu’un avait été trainé sur plusieurs dizaines de mètres le long de l’étang, puis à l’intérieur de la forêt. Il attrapa au passage un bout de branche assez solide pour pouvoir résister à un coup brutal. Plus il s’enfonçait dans la forêt et plus les traces devenaient difficiles à repérer. Au bout d’un moment les traces de pas se sont transformées en traces de sang. Il y avait une longue trainée de sang facile à suivre pour lui. Il distingua un corps qui bougeait légèrement appuyé sur un arbre.
C’était Steve.
Il courut jusqu’à lui pour lui apporter son aide. Il avait un couteau planté au niveau du ventre. Il semblait n’avoir atteint aucun organe vital. Dean regarda plus loin où la trainée de sang continuait pour finir par disparaître en même temps que les traces de pas. Il se dépêcha de récupérer sa trousse de secours qu’il garde toujours sur lui pour les cas extrêmes comme celui-là. Il sortit des compresses, du désinfectant et tout le nécessaire. Il enleva le couteau assez brutalement se qui ôta un hurlement de douleur à Steve. Il fit son possible pour nettoyer la plaie. Le résultat fut presque impeccable. Steve s’était évanoui. Dean avait eu une montée d’adrénaline.
Steve Dinroy se réveilla quatre heures plus tard. Il put raconter à Dean ce dont il se souvenait. Il dit qu’un homme l’avait frappé au crâne et qu’avant de s’évanouir Steve récupéra le couteau. Quand il reprit conscience, l’homme en question le portait et il tenait dans une main un livre. Steve attrapa alors le couteau et essaya de lui planter dans le ventre. Il réussit mais ne l’enfonça pas suffisamment pour le faire lâcher prise. Il retira le couteau de son ventre pour empaler Steve. Il le jeta contre un arbre où Steve se cogna la tête. Il avait la vue trouble mais put apercevoir l’homme continuer sa route. Il crut le voir se volatiliser car à un moment il ne le voyait plus nulle part. C’est à demi-conscient qu’il attendit jusqu’à ce que Dean arrive. Pendant que Steve racontait son histoire, Dean remarqua que son livre avait disparu. Les deux hommes retournèrent à leur campement, Steve s’appuyant sur Dean pour pouvoir avancer.
L’hémorragie avait stoppé cependant il aurait fallu l’emmener d’urgence à l’hôpital. Dean organisa quelques peu ses affaires pour garder le nécessaire à portée de main. Au moment où il remplissait sa gourde dans le point d’eau, il sentit un frisson lui parcourir le corps. Il sentait que quelqu’un l’observait.
«  Dean, reviens vite.  »
Steve avait l’air inquiet. Dean se dépêcha de le rejoindre. Il put constater qu’on les attendait. Un homme était debout à la limite de la forêt. Il portait des vêtements débraillés. Il regardait les deux hommes. Il tenait un vieux couteau rouillé. Dean s’affola, attrapa Steve et essayait de trouver un endroit où s’enfuir. Il trouva vite et se précipita. Cependant un autre homme sortit de la forêt, avec la même tenue que le premier. Il tenait une hache difforme mais tout aussi tranchante. Une demi-douzaine de personnes sortirent ainsi, tous armés. Ils s’approchèrent de Dean qui essaya tout ce qu’il put pour se défendre. Tout effort était inutile. Ils étaient trop nombreux et trop forts. Il fut assommé. Les hommes venant de la forêt attrapèrent Dean et Steve et les emportèrent.

Dean se réveilla désorienté, épuisé, il aurait été incapable de dire ce qu’il venait de lui arriver, non seulement avec le bâillon sur la bouche mais aussi le fait qu’il ne savait plus où il était. Sa vue se troublait. Il lui fallut quelques instants pour reprendre pleine possession de ses moyens. Il vit Steve, attaché à un arbre. Quand il essaya de lui prêter assistance, Dean se rendit compte qu’il était lui même attaché. Il remarqua ensuite deux hommes qu’il ne connaissait pas, attachés eux aussi. L’un d’eux était de toute évidence mort, à en juger par les entrailles qui lui sortaient d’une plaie béante au niveau du ventre. L’odeur de mort était tellement insoutenable que Dean vomit. L’autre semblait endormi, ou évanoui. Du sang coulant sur son front mais la blessure ne paraissait pas trop sérieuse. Steve, quant à lui, reprenait peu à peu ses esprits. Dean inspectait les cordages qui le retenait. De toute évidence, il était impossible de se libérer sans avoir un outil tranchant à sa disposition vu l’épaisseur de la corde. Et encore, ce serait quand même un travail de force. Il se résigna vite. Steve reprit enfin conscience tout aussi désorienté que Dean l’était. Il essayait de se débattre mais Dean lui affirma que ça ne servait à rien.
Les deux hommes essayèrent de comprendre ce qu’il venait de se passer. Plusieurs théories furent envisagées mais aucune ne paraissaient réalistes. Ils continuèrent ainsi pendant une vingtaine de minutes. C’est alors qu’arriva un homme, de même carrure que ceux qui l’avaient enlevés précédemment. Steve le reconnut comme étant celui avec la massue cloutée qui poussait des grognements étranges, presque inhumain. Il avançait plutôt vite mais quand il arriva à une dizaine de mètres des hommes attachés, il ralentit progressivement, sa massue toujours à la main.
Une fois arrivé à cinq mètres, il s’arrêta et ne bougea pas d’un pouce pendant près d’une minute. Il passait son regard d’un homme à l’autre sans oublier ceux qui sont morts et éventrés. Puis il s’attarda sur Steve, le regardant avec des yeux presque assassin. Puis il ferma les yeux, posa sa massue contre un arbre proche et rouvrit les yeux à nouveau. Il sortit un couteau, dont lame était la plus grande qu’il n’eut jamais vu. Le couteau semblait propre, presque neuf, en contraste avec l’apparence débraillé et la saleté qui recouvre les vêtements et le corps de cette homme. Steve fixa le couteau et murmura quelque chose d’inaudible. L’homme au couteau s’approcha de Dean tout doucement. Il donnait l’impression d’apprécier ce moment. Dean le voyait s’approcher de plus en plus. Il pouvait même sentir son odeur, une odeur fétide de sueur rance mêlé à une odeur de sang.
L’homme s’agenouilla et regarda Dean droit dans ses yeux verts émeraude, transperçant, mais certainement pas intimidant pour un homme de son gabarit. Ils étaient maintenant à quelques centimètres l’un de l’autre. Dean faisait tout son possible pour ne pas trembler, pour ne montrer aucun signe de faiblesse. L’homme approcha le couteau du visage de Dean, qui ne tremblait toujours pas mais qui sentait la peur monter en lui. Dean sentit le contact froid du métal contre sa joue puis le chaud d’une perle de sang qui coulait. Il sentit aussi des gouttes de sueur lui couler sur le front. Il savait que l’homme en face de lui pouvait sentir sa peur. Il voyait le couteau se rapprocher de plus en plus de son œil à un point qu’il fut obligé de fermer la paupière. L’homme au couteau en semblait presque déçu. Il se releva et s’éloigna. Il laissa tomber son couteau qui se planta dans le sol. Dean sentit du soulagement, la peur se dissipait peu à peu.
L’homme fit un mouvement extrêmement rapide, c’en était presque surhumain, si rapide que Dean eut à peine le temps de réagir. Il put juste voir l’homme arriver à pleine vitesse et la massue s’approcher dangereusement de son visage. Il sentit également le contact violent et douloureux de la massue avec son crâne. Mais il n’eut pas le temps de comprendre et d’analyser ce qu’il venait de se passer avant de s’évanouir.
Dean se réveilla avec un mal de crâne. Il porta sa main sur sa tête mais ne trouva aucune blessure, aucune coupure, aucune trace de sang à sa grande surprise. Il se releva mais étant un peu étourdi il se laissa retomber à terre. En regardant autour de lui il aperçut une branche semblant très solide, plutôt longue, très pratique pour se battre songea Dean. Il se releva finalement en s’aidant d’un arbre. Sa tête lui tournait encore et il dut attendre quelques instants avant de reprendre complètement ses moyens. Il regarda autour de lui. Il n’y avait personne en vue. Dean s’interrogea sur le pourquoi de sa libération. Il attrapa le bâton qui était définitivement trop pratique pour le combat pour que ce soit une coïncidence. Il pensa à un piège, ou qu’ils voulaient s’amuser un peu avec lui avant de le tuer. Dean donna quelques coups dans l’air pour s’habituer au poids du bâton.
Il avançait dans la forêt quand il entendit des bruits, juste au dessus de lui. Il vit un homme plonger sur lui avec une sorte de fléau à la main. Il eut tout juste le temps de faire une roulade sur le côté pour éviter l’impact cependant une grosse branche, probablement arrachée au passage par le fléau, s’écrasa sur sa jambe et un cri de douleur lui échappa. L’Homme sauvage, comme il venait de le baptiser, avait atterri sur ses jambes mais perdu l’équilibre à cause du fléau et tomba en arrière. Il se releva quasiment immédiatement, prêt à un nouvel assaut. Dean, quant à lui, peinait à se relever. Il s’était tout juste mis debout quand il se fit charger et c’est en voulant riposter qu’il remarqua qu’il avait laissé échapper son arme. Il encaissa au maximum le coup, mais le fléau s’abattit sur son bras gauche. Il sentit son radius et son cubitus se briser. L’Homme sauvage, prit dans son élan, s’arrêta quelques mètres plus loin. Dean en profita pour aller récupérer son bâton. C’est alors qu’il vit par terre une autre arme, une hache rouillée mais encore très tranchante. Il suspecta un piège mais se dit qu’il ne pourrait pas survivre face à un tel adversaire avec seulement un bâton. Il saisit la hache des deux mains ce qui provoqua une douleur cuisante à son avant-bras. Rien ne se passa, aucun piège.
Cette fois c’est Dean qui prit l’initiative de porter une attaque. Il chargea son adversaire qui, l’ayant remarqué, se préparait à écraser son fléau sur le crâne de Dean. Ce dernier suivait du regard la boule du fléau pour l’esquiver en cas de besoin. L’Homme sauvage, plus rapide, frappa en premier. La boule du fléau fit un arc de cercle à l’horizontal pour balayer tout ce qui était trop grand. Dean esquiva in extrémis en se baissa et put porter un coup à son tour. L’Homme sauvage, aussi agile que rapide, recula pour esquiver le coup mais la hache l’entailla légèrement au niveau de l’abdomen. Dean trouvait que l’Homme sauvage était plus vigoureux que ses congénères. C’est ainsi qu’il remarqua qu’il était plus jeune, peut être même adolescent.
Une pensée lui vint. Il songea que ce combat était une sorte de rite d’initiation, probablement pour le passage à l’âge adulte, vaincre en duel et autre combattant. Il se mit alors à comparer ces hommes avec certaines tribus indigènes. Pendant ce temps, il esquivait les coups qui lui arrivaient dessus, certains passant très près. Il attendait le bon moment pour frapper. Il détecta un moment de déséquilibre lorsque son adversaire voulut trop allonger son coup. Il n’hésita pas à en profiter. Il frappa de toutes ses forces juste en dessous des côtes. La hache s’enfonça au quart. L’Homme sauvage hurla si fort que les tympans de Dean souffrait. Dean remarqua alors que l’Homme sauvage était très énervé. Ce dernier donna un coup si rapide que Dean n’eût même pas le temps de le voir arriver. Avec un coup aussi violent dans le ventre, il fut projeté en l’air et retomba lourdement à terre. Il suspecta que certains de ses organes étaient touchés mais que ce n’était pas trop grave pour l’instant.
Il vit l’Homme sauvage retirer la hache et la jeter, se plantant très profondément dans l’arbre juste derrière. Dean était persuadé qu’un homme ne pouvait survivre à une blessure pareille, et encore moins rester debout comme si de rien n’était. Il pensa que cet Homme sauvage n’était définitivement pas un homme. L’Homme sauvage était toujours debout mais perdait beaucoup de sang et s’avançait lentement. Dean se dit que finalement il avait une chance de s’en sortir vivant mais qu’il lui faudrait une arme. Il remarqua alors le bâton juste à côté de lui qu’il saisit aussitôt. Il se releva avec l’aide du bâton.
L’Homme sauvage chargea à nouveau, plus lentement que les fois précédentes. Dean eut quelques secondes de plus pour réfléchir à un plan d’action. L’Homme sauvage faisait tournoyer la boule de son fléau pour lui donner plus de vitesse et de puissance. Dean sentit tout d’un coup un flot d’adrénaline plus important que ceux qu’il avait pu avoir précédemment monter en lui. Il pût alors réagir très vite. Il esquiva de peu le coup en s’abaissant, en profiter pour frapper fort sur les tibias de son adversaire ce qui eut pour effet de le faire tomber à genoux. Durant ce mouvement, Dean glissa dans la boue mais se releva presque aussitôt. Il porta alors un coup violent mais précis dans le bas du cou avec une extrémité de son bâton. Il entendit la nuque se briser et ressentit un soulagement intense. Il contempla son valeureux adversaire tomber à terre, mort.
«  Tu as raté ton test  » dit Dean à l’intention de l’Homme sauvage gisant à terre.
Il profita de ce moment de répit pour faire l’inventaire de ses blessures. Il compta un avant-bras cassé, probablement des organes endommagés, une gêne pour respirer ainsi qu’une cheville foulée qu’il n’avait pas décelé plus tôt. Il est couvert de sang. Même ses cheveux bruns en était immaculé, mais il doutait que tout ce sang était le sien. Il s’assit contre un arbre pour souffler un peu.

Seul au fond des bois, Dean marchait pour soit retrouver Steve, soit partir d’ici pour sauver sa vie. Sa clémence naturelle le convainquit de prendre le premier choix. Mais il fallait d’abord le trouver, et pour ça, savoir où aller. Or, Dean n’ayant jamais exploré cette partie de la forêt, ne savait pas pars où aller. Il commençait à faire sombre, le soleil était en train de se coucher. Dean put ainsi repérer la disposition des points cardinaux. Ainsi il se mit en route vers ce qu’il supposait être la direction de l’étang. Il emporta avec lui le bâton, au cas où il se fasse de nouveau attaquer. Bien qu’il eut soufflé pendant un bon moment, il était quand même éreinté.
Il marcha pendant une demi-heure qui lui sembla être six heures au moins sans que rien ne se passe. Il remarquait qu’il déviait de temps en temps de sa trajectoire et réajustait aussitôt sa direction. Il n’y avait aucun bruit dans la forêt, aucun bruits inhabituels tout du moins. Il y avait toujours le son du vent contre les branches, des oiseaux nocturnes qui pointaient le bout de leur bec. Il fut donc surpris quand quelqu’un arriva par sa gauche pour le frapper violemment au visage, ce qui lui fit faire un vol plané assez impressionnant. Une fois relevé, par réflexe, il porta sa main au visage et sentit une entaille le long de sa joue. Il fit rapidement le lien avec le couteau que tenait son assaillant. Celui-ci réitéra son attaque. Il était beaucoup plus rapide et agile que l’Homme sauvage. Il put ainsi n’éviter que quelques coups, les autres commençant à l’entailler tout le corps. Voyant que cette technique était peine perdue, il essaya de porter des coups avec son bâton. Certains atteignirent la cible, la ralentissant quelque peu.
Des bruits commençaient à se faire entendre partout autour et des silhouettes commençaient à se former ce qui distrayais un instant l’assaillant. Dean en profita pour le déséquilibrer et le faire tomber à terre. Une fois cette tache achevée, il se mit à courir en direction du lac. Il entendit des personnes le poursuivre, mais Dean était un spécialiste de la course, il y avait donc peu de chance qu’ils le rattrapent.
Il arriva finalement au lac, en sueur, peinant à retrouver son souffle, le cœur sur le point d’exploser. Il n’entendait plus ses poursuivants.
«  Monsieur, vous allez bien ?  »
Il releva la tête et vit un jeune couple, assis, devant un feu de camp, en train de faire griller des marshmallows. La faim lui tomba dessus d’un coup, mais ce n’était pas le moment de se préoccuper de cela. Il vit également la guitare posée sur un tronc d’arbre coupé, ce qui lui rappela sa jeunesse où lui même en jouait.
«  Vous allez bien ? Vous êtes blessé ?  »
Toujours aucun bruit. Il n’arrivait pas à croire qu’il les avait semé. Ou alors peut-être se préparaient-ils à tendre un piège.
«  Vous m’entendez ?  »
«  Je vais bien, merci  » répondit finalement Dean.
«  Vous êtes couvert de sang.  »
«  Ce n’est pas si grave.  »
Le couple avait un air ahuri. Dean se rendit compte seulement de l’étrange de cette situation.
«  Il faut partir, maintenant, ou vous allez mourir, annonça Dean d’un ton grave.  »
«  Hein ! Pardon ? Comment ça ? Qu’est-ce qu’il passe ?  »
«  Il y a des gens mal intentionnés qui se dirigent par ici et qui vont probablement vous tuer. J’ai pu leur échapper mais je ne sais pas si j’y arriverais une deuxième fois.  »
«  Quoi ? Expliquez-n…  »
Le jeune homme n’eut pas le temps de finir sa phrase. Trois personnes venaient de sortir de la forêt, sales, armés jusqu’au aux dents. Pour autant qu’il pouvait en dire, l’un d’eux était une femme. Il fit signe à Dean qui se retourna. Ce dernier se mit en position pour riposter à n’importe quel moment. Il fit tout de même signe au jeune homme de prendre le couteau posé par terre. Sa compagne, apeurée, restait figée, commençant même à pleurer. Le jeune homme attrapa le couteau et se précipita auprès de l’illustre inconnu venu les mettre en garde.
Les trois Hommes sauvages chargèrent. La Femme frappa avec son gourdin dans le visage du jeune homme sans que celui ci ne puisse rien faire. Ce dernier fit un vol plané de quelques mètres, lâchant son couteau à cause du choc et atterrit près du feu de camp. Dean, quant à lui se dépêtra avec le plus costaud d’entre eux à qui il donna quelques coups bien placés au niveau de la tête ce qui eut pour effet de le sonner quelque peu. Il n’eut qu’à le frapper violemment à l’estomac pour le faire tomber. La Femme sauvage en profita pour frapper Dean dans le dos ce qui le fit tomber à plat ventre. Il ramassa le couteau gisant à côté de lui et l’enfonça de toute se lame dans son thorax qui s’apprêtait à lui porter un autre coup. Il entendit la cage thoracique craquer et la vit tomber par terre, sans vie. Le dernier ennemi se dirigeait vers la femme qui, toujours paralysée par la peur, ne pouvait pas se défendre. Son fiancé prit sa guitare et fonça vers celui qui s’apprêtait à tuer sa femme. Il le frappa avec toute sa force, toute sa rage et tout son élan au visage. La guitare vola en éclat. Le dernier assaillant était désormais K.O.
«  Maintenant il faut courir  » lança Dean.
Il récupéra le couteau toujours planté dans le thorax de la Femme sauvage et le tendit au jeune homme. Il attrapa également un bout de bois enflammé qui servira de torche.
«  Au fait, moi c’est Dean.  »
«  Claude, et voici ma fiancée Maëva  » dit-il en l’aidant à se lever.
Ils se mirent à courir en longeant le lac, Dean cherchant les traces de son ancien campement. Il ne tarda pas à trouver. Il se mit alors à suivre la piste qui le mènerait à Steve. Il jeta un rapide coup d’œil là où gisait les Hommes sauvages. Il n’en restait plus que deux à terre ce qui inquiéta Dean. Il retourna à sa traque. Ils marchèrent pendant plusieurs heures dans la forêt, Dean ayant de plus en plus de mal à suivre les traces à cause de la nuit noire, malgré sa torche.
«  Allons camper, ce sera sympa que tu disais. Je m’y connais assez, on va facilement survivre que tu disais  »
Maëva venait de prendre la parole pour la première fois. Dean remarqua l’étrange calme dans sa voix.
«  Excuse-moi de ne pas avoir prévu la possibilité de se faire attaquer par des indigènes sauvages qui veulent nous tuer  » rétorqua le mari sèchement.
«  Stop, coupa Dean voyant que la jeune femme se préparait à répondre. Si on parle trop, on risque de se faire repérer.  »
Dean remarqua qu’il avait perdu les traces, il n’y avait plus rien. Il se mit à paniquer, mais retrouva son calme suffisamment vite. Il ferma les yeux, prit une profonde inspiration et essaya de prendre la meilleure décision possible. Il se décida finalement :
«  Si vous allez tout droit dans cette direction vous pourrez sortir de la forêt, dit-il en pointant son doigt vers le Nord-Ouest. Si vous me suivez cela risque de devenir dangereux pour vous.  »
«  Vous ne cherchez pas à partir ?  » S’étonna Maëva.
«  Je dois d’abord sauver quelqu’un.  »
«  Dans ce cas nous vous accompagnons, annonça Claude, nous avons plus de chance de survivre en restant en ensemble. Et puis, s’ils nous tombent dessus pendant qu’on part on ne peut qu’y rester.  »
Sa fiancée acquiesça. Dean baissa la tête et se résigna très vite. Il prit son temps pour retrouver les traces. Quand ce fut fait il s’empressa de suivre la piste. Dean se demandait s’il y avait toujours quelqu’un à sauver, si Steve était encore en vie. Il allait bientôt le découvrir.

Il n’y avait qu’une seule personne qui gardait les prisonniers attachés. Des lanternes étaient accrochées aux arbres. Dean tendit le bras en arrière pour récupérer le couteau. Une fois dans sa main, il s’avança lentement. Arrivé à un distance suffisante, il s’agenouilla. Il essaya de se rappelait certains de ses cours. Celui faisait plusieurs années qui n’avait pas lancé un couteau comme il s’apprêtait à le faire. Il n’avait en fait pas eu le faire jusqu’à maintenant. Il prit bien en main son couteau et attendit le moment opportun. Le gardien des prisonniers fit dos à Dean qui lança son couteau avec précision. Le couteau se planta de quasiment toute sa longueur dans l’arrière du crâne, à la base. Dean s’étonna de sa précision, il pensa qu’il s’agissait seulement d’un coup de chance. Après réflexion, il trouva même étrange qu’il ait réussi à en tuer autant alors qu’ils l’avaient assommé avec une facilité déconcertante à peine un jour plus tôt.
Dean et le couple s’approchèrent des prisonniers. Steve était inconscient. Il y avait toujours les deux gars que Dean avait vu lorsqu’il était lui même attaché. L’un d’eux, les tripes à l’air, ne bougeait plus, mais l’autre gigotait un peu. Maëva, ne supportant pas ce spectacle, se mit à vomir. Claude essayait de réveiller Steve, sans succès. Dean, quant à lui, détacha l’autre homme. Il put s’apercevoir que celui ci était entaillé en de multiples endroits, le sang coulait beaucoup trop. Dean savait qu’il ne tiendrait pas longtemps comme ça. Ce fut le cas. A peine une minute après avoir été détaché, il mourut. Dean s’attarda alors sur Steve, aidant Claude à le réveiller. Il reprit finalement conscience et commença à se débattre.
«  Nous allons te sortir de là  » annonça Dean d’une voix calme.
Ils le détachèrent mais Steve ne bougea pas pour autant. Dean pensait qu’il pouvait être en état de choc. Mais finalement il se releva, le regard vide.
«  Allez, partons d’ici.  »
«  Non, je n’en ai pas fini.  »
«  Tu veux mourir ?  »
«  J’ai quelque chose à accomplir avant de partir…  »
«  C’est plus important que ta vie ?  »
«  Bien plus.  »
«  De quoi s’agit-il ?  »
«  Une vengeance.  »
«  Vengeance de quoi ?  »
Steve Dinroy n’eut pas le temps de répondre. Tous entendirent le son grave et imposant d’une corne. Un autre Homme sauvage les observait et donnait l’alerte à ses congénères. Steve ramassa par terre la hache de celui qui le gardait et fonça sur celui qui avec la corne. Ce dernier essaya de dégainer mais n’eut pas le temps. Maëva se retint de hurler quand elle vit la tête de l’homme tomber par terre. Le reste de corps suivit peu après. Steve revint près de Dean, lentement.
«  Je dois rester. Ils m’ont pris ma vie. Je dois le leur faire payer, quitte à y laisser ma vie.  » dit tout doucement Steve en baissant les yeux.
Dean hocha la tête. Ils entendirent au loin des dizaines de personnes arriver. Aussitôt après, une flèche se planta dans l’arbre juste à côté de Claude.
«  Courez  » dit Dean à l’intention de Claude et Maëva.
Tous se mirent à fuir, sauf Steve qui resta impassible, s’apprêtant même à rendre les coups. Quand Dean entendit de nouvelles flèches se faire décocher il se retourna. Il suivit des yeux la trajectoire. La plupart se dirigeaient droit vers Steve. Il voulut le prévenir mais manquait de temps. Trois flèches se plantèrent dans Steve. La première dans le cœur, ce qui le tua sur le coup. La deuxième dans la gorge, ce qui l’aurait probablement achevé. La troisième dans la cuisse. Steve tomba lourdement à terre, mort, sa vengeance réduite à néant. Une flèche atterrit au pied de Dean. Il reprit sa fuite en courant, essayant d’esquiver les flèches en utilisant son ouïe.
Il voyait Claude et Maëva devant, il les rattrapait petit à petit. Il aperçut une ribambelle de flèches lui passer au dessus de la tête et se planter devant lui. Il arrivait maintenant à la hauteur du couple. Dean se prit une flèche dans le mollet ce qui le ralentit grandement. Une flèche atteint le bras de Claude. Par miracle Maëva ne se fit pas toucher. Dean voyait le bout de la forêt. Le soleil se levait, l’aube se pointait. Dean se prit une flèche dans l’estomac ce qui lui arracha un cri de douleur puis une autre quasiment au même endroit. Pendant quelques secondes, il n’entendit aucune flèche. Il crut que la chance tournait, que c’était fini. Il avait tort. Claude se prit une flèche dans l’épaule et une autre dans le dos, juste à côté de la colonne vertébrale. Ils sortirent de la forêt. C’est à ce moment que Dean se prit une autre flèche au niveau de l’articulation du genou ce qui le fit tomber à plat ventre, la tête la première. Il sentait les forces le quitter, il n’arrivait plus à se relever. Claude s’arrêta pour lui porter assistance.
«  Partez, je me débrouillerais  » dit Dean tout en sachant que c’était faux.
Claude reprit sa course. Dean regarda le jeune couple partir au loin jusqu’à ce qu’ils ne fussent que des points à l’horizon. L’aube était là. Dean se sentait mourir. Les Hommes sauvages ne franchirent pas la limite imposée par la lisière de la forêt. Dean avait faim. Il se mit à rire. Il trouvait comique qu’il ait faim alors qu’il allait mourir d’un instant à l’autre. Il pensa à des gaufres. Des gaufres avec toutes les garnitures possibles et imaginables. Dean Starton mourut en pensant à des gaufres.

Claude et Maëva arrivèrent en vingt minutes à l’hôpital. Maëva, n’ayant subi aucune blessure, raconta à la police, intriguée de l’étrangeté et de la gravité des blessures de son fiancé, ce qu’elle venait de vivre. Claude, quant à lui, resta plusieurs heures sur la table d’opération où il finit par mourir des suites de ses blessures. La police fouilla la forêt dans ses moindres recoins mais elle ne trouva ni le corps de Dean, ni celui de Steve, ni les traces de leur campement, ni la présence d’une quelconque forme de vie humaine primitive vivant en ce lieu, rien, pas même une trace. Maëva fut alors soupçonnée d’avoir causé les blessures de feu son fiancé. Les poursuites furent abandonnées pour manque de preuve. Maëva essaya de reprendre une vie normale. Elle fut internée dans un hôpital psychiatrique un mois plus tard pour des crises de violence. Elle se suicida un an plus tard en se tailladant les veines, ne laissant derrière elle qu’un message de sang écrit sur le mur :

Ils sont toujours là
Ils attendent leurs nouvelles proies
Seul au fond des bois
Ne vous y aventurez surtout pas.

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