Site icon La plume d'un esprit farouche

Rainbow

I’m on a Highway to hell.
J’adore cette chanson. Je la mettrais sans problème dans mon top 10. C’est d’ailleurs la troisième de mon top 10 qui passe en même pas une heure. Cette soirée est vraiment géniale.
J’ai besoin de carburant. Direction la table à bouteilles. Qu’est-ce que ce sera cette fois ? Je crois qu’il reste du Sky. Je pense que je vais me laisser tenter par ça. Si j’arrive à me frayer un chemin à travers la foule.
Enfin arrivé. Et en plus il reste du…
Whoa ! Qui est cette fille ? Je la connais pas. Elle est tellement belle. C’est ta chance. Fais les choses bien. Entame la conversation.
– “Salut ! Je crois pas qu’on ait été présenté. Je m’appelle Stuart.
– Enchantée ! Moi c’est…
HIGHWAY TO HELL.
Je n’ai pas entendu son nom. Ces idiots ont beuglé pile à ce moment-là. Tant pis, je le réentendrai bien à un autre moment de la soirée. Il faut continuer comme ça.
– “Tu veux boire quelque chose ?
– Volontiers ! Tu me proposes quoi ?
– J’allais pencher pour du Sky. Ça te dit ?”
Elle échappa un petit rire.
– “J’ai dit quelque chose de drôle ?
– Non, laisse tomber. Whisky ce sera très bien.”
Je la sers tout doucement pour éviter d’en renverser partout. Difficile avec quelques verres d’avance. Je rajoute le Coca. Ingrédient indispensable pour faire passer l’alcool de mauvaise qualité. Elle me remercie en souriant. Il est à tomber ce sourire. Je craque totalement.
– “Ça te dis d’aller sur le balcon ? Ce sera plus simple pour parler.
– Et surtout, moins bruyant.”
Nous sommes seuls sur le balcon. Enfin presque. Un mec, qui a visiblement trop abusé en début de soirée, dort comme un loir.
Le reste de la soirée est véritable bonheur. Tout se passe à merveille. On a parlé pendant une heure. Puis on est reparti chacun de notre côté pour aller voir d’autres personnes, danser, boire. Et on s’est finalement retrouvé à nouveau, sur le balcon.
– “J’adore cette soirée.
– Moi aussi, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas éclatée comme ça.
– Je pensais surtout à la rencontre que j’ai faite
– La rencontre ?
– Toi.”
Elle se met à rougir très légèrement, juste au niveau de ses joues. Je trouve ça adorable. C’est le moment de tenter ma chance. Je me penche doucement vers elle…
C’est alors qu’une de ses amies vient la chercher.
– “Il faut qu’on aille, dépêche-toi.
– Oui, j’arrive.”
Elle me glisse un discret “désolé” puis suit son amie.
C’est ainsi que se termine ce moment magique, partagé avec cette fille dont je ne connais pas le nom.

“Allez les gars, on se réveille. Mon coloc arrive dans trois heures. Je dois ranger tout ce chantier.”
Tais-toi ! J’ai mal au crâne. Le retour du bâton. J’ouvre péniblement les yeux. Trop de lumière. J’ai encore plus mal au crâne. Je garde donc les yeux plissés. J’ai sûrement l’air idiot.
J’essaye de me souvenir de la soirée. Il y a beaucoup de zones floues. Surtout passé une certaine heure. Je crois me souvenir d’un canard. Ou alors tout est simplement mélangé dans ma tête.
La fille. Oui, la fille. Non. Je la reverrai jamais. Je n’ai pas son numéro. Je n’ai même pas son prénom. Bobo, il doit la connaître. Après tout, la soirée était chez lui.
Je me lève précipitamment. Je n’aurais jamais dû faire ça. Je crois que je vais vomir… Non, c’est bon, c’est passé.
– “Y’en a un qui est en forme dès le matin.
– Bobo, y’avait une fille hier soir…
– Des filles y’en avait plein.
– Euh… Okay. Description rapide. Elle est rousse, cheveux longs, ondulés. Elle a les yeux noisettes. Un adorable sourire. Et elle portait une robe… bleue je crois. Je suis pas sûr.
– Oui. Je vois.
– C’est vrai ? Elle s’appelle comment ?
– Aucune idée.
– Quoi ?
– Oui, je me souviens l’avoir vu, mais je sais pas qui c’est.”
La déception m’envahit. Ma dernière chance de la revoir s’est envolé.
– “Tu as le béguin pour elle on dirait.
– Coup de foudre tu devrais dire. Mais je connais pas son prénom.
– Dommage ! Mais si elle est venue accompagnée, je connais peut-être quelqu’un de son entourage.
– Elle est repartie avec une amie mais je saurais pas te dire à quoi elle ressemble.
– Alors je peux rien pour toi, mec.”
Bobo s’arrête un instant. Il regarde autour de lui.
“Par contre, tu peux dégager ? Je dois tout nettoyer moi.”
Du Bobo tout craché. Il ne me reste plus qu’à partir.

Une semaine plus tard…
Je suis en retard. Tellement en retard. J’ai l’impression qu’il va me pousser des oreilles et une fourrure blanche. A la rigueur, une transformation en lapin blanc me permettrait peut-être d’aller plus vite.
Ça suffit. Je n’ai pas le temps de penser à de telles absurdités. Je ne dois plus penser qu’à l’entretien.
Entretien. Entretien. Entretien.
Je vais l’avoir ce job.
Une heure plus tard…
Je vais pas l’avoir ce job. Quel fiasco ! J’ai rarement été aussi mauvais. Il a même dû croire que j’étais bègue tellement je balbutiais. Je pense que je vais devoir continuer de travailler dans cette…
“Stuart ?”
Je me retourne. Vision miraculeuse. C’est elle. La fille de la soirée. Je ne peux cacher mon étonnement.
– “Oh ! Salut ! Quelle surprise ! Qu’est-ce que tu fais là ?
– J’habite dans le quartier. Et toi ?
– Je ressors d’un entretien d’embauche.
– Alors ? Verdict ?
– Je vais pas être pris.
– Oh ! C’est dommage ! Tu réussiras le prochain.
– J’espère bien.
– Bon, c’était sympa de te recroiser. Je dois y aller.”
C’est inespéré. Je ne peux pas la laisser partir. Il n’y aura pas de meilleure opportunité.
– “Avant que tu partes, je me demandais… si ça te plairait qu’on aille boire un verre ensemble, ce soir ?
– Je suis désolée…”
Raté. Fallait s’y attendre. Ça ne marche jamais.
“… mais demain soir je suis libre.”
L’espoir revient. Elle a accepté.
– “Demain soir c’est parfait.
– Je te laisse mon numéro. Tu me diras où on se rejoint.
– Je te dirai ça.”
J’ai son numéro. J’ai son numéro. J’ai son numéro.
Par contre, j’ai toujours pas son nom. Et ça, ça va devenir un problème. Demain soir, ma mission sera de découvrir son prénom. Je pense pas que ce sera trop dur.

Le lendemain soir…
Tout se passe bien. Je suis nerveux, mais ça ne se voit pas.
“Détends-toi. Tu n’as pas besoin d’être nerveux.”
Je suis nerveux, et ça se voit pas. Je vais me calmer.
“Je voulais te demander. Quand on s’est parlé pour la première fois, à la soirée, tu as rigolé. Pourquoi ?”
Elle adopte un air circonspect. Puis elle semble comprendre de quoi je parle.
– “C’est parce que tu m’as demandé si je voulais du Sky…
– Et donc ?
– En fait, Sky, c’est mon nom de famille.”
Je connais désormais son nom de famille. La moitié du chemin de parcouru. Il reste le prénom maintenant.
– “Tu as des origines britanniques ?
– Mon père. Il est anglais.
– Oh ! Okay.”
Elle me regarde avec insistance. Elle semble attendre quelque chose. Mais je n’arrive pas à déterminer ce qu’elle cherche.
– “Qu’est-ce qu’il y a ?
– Non, rien. C’est juste que quand les gens connaissent mon nom en entier, en général ils ne peuvent s’empêcher de faire une remarque.”
Je ne connais pas ton nom en entier. Je ne connais pas ton prénom. Je ne sais pas quelle remarque il est possible de faire. Bon, il faut que je tourne ça pour qu’elle ne se doute de rien. Comment faire ? J’ai trouvé.
– “Je n’aime pas les jeux de mots ou les moqueries avec les noms.
– C’est tout à ton honneur.
– Il faut dire aussi que pendant tout le collège, j’ai eu le droit au ‘Stuart Little’. Alors à force, j’en avais marre.
– Ah oui, je n’y avais pas pensé. Moi c’était surtout ‘ça doit être pratique pour aller à la montagne’… à cause des skis et tout ça…
– Pas très drôle.
– Ils étaient pas très malins au collège aussi.”
Elle éclate de rire. Je l’accompagne de bon coeur. J’avais réussi à m’en sortir in extremis.
Le rendez-vous se passe à merveille. J’ai appris un tas de choses sur elle. Qu’elle adore les arc-en-ciel et ne peut s’empêcher de les photographier. Qu’elle est devenue artiste après avoir arrêtée ses études et qu’elle touche à tous les arts, même si elle préfère le dessin. Qu’elle vit seule depuis que sa colocataire est partie vivre avec son copain. Qu’elle déteste les chats. Mais je n’ai pas réussi à découvrir son prénom.
Peut-être au prochain rendez-vous.

Trois semaines plus tard…
– “Attends, laisse-moi résumer. Vous sortez ensemble depuis trois semaines, et tu connais pas son prénom ?
– C’est ça.
– Comment c’est possible ?
– Je l’ai pas entendu la première fois.
– Et elle l’a pas remarqué ?
– J’ai jamais eu à l’appeler par son prénom pour l’instant, donc non, pas pour le moment. Mais je sais pas combien de temps ça va durer.
– Faut vraiment que tu te sortes de cette situation, Stuart.
– Tu m’étonnes, ça me fait stresser à chaque fois. Mais demain on va à une soirée avec des copines à elle. Ce sera le moment de vérité, soit je me fais griller et c’est foutu avec elle, soit j’apprends enfin son prénom.”

Le lendemain…
Je stresse tellement. C’est le soir où tout se joue. Et ça me ferait chier de la perdre, parce qu’après tout, je l’aime beaucoup.
Nous sommes devant la porte de chez sa copine. Jamais une porte ne m’avait autant fait peur.
– “Au fait, il faut que je te prévienne d’un truc avant.
– Quoi donc ?
– Personne ne m’appelle par mon prénom. Tout le monde m’appelle Rainbow.
– Rainbow ?
– Oui, à cause de mon fanatisme des arc-en-ciel.
– J’aime bien ce surnom.
– Tu peux m’appeler comme ça si tu veux.”
Rainbow. Soit c’est une excellente nouvelle, car je peux me permettre de l’appeler comme ça sans me faire griller, soit c’est une mauvaise nouvelle, car y’a aucune chance que j’entende son prénom durant la soirée.
La porte s’ouvre et une jolie brune nous accueille.
“RAINBOW !”
En effet, ils l’appellent bien comme ça.
– “Salut No’ ! Désolé du retard. Je te présente mon copain, Stuart.
– Salut Stuart ! Moi c’est Noémie, mais tu peux m’appeler No’.
– Enchanté !”
Ils ont tous des surnoms dans ce groupe ?
Noémie nous fait rentrer et ne tarde pas à faire part de notre présence.
“Les filles, Rainbow est arrivée.”
Un emballement général se fait sentir. Je ne la savais pas si populaire. Tout le monde se rue sur elle.
Rainbow par ci. Rainbow par là. Durant la soirée, j’ai eu le droit à un lot incalculable d’anecdotes à son sujet. On dirait qu’elle a tout fait. Qu’elle a tout vécu. Ça m’intimide un peu.
Surtout la fois où elle avait fait du camping sauvage en montagne avec son père. Une tempête s’est alors abattu, ruinant leur campement. C’est alors qu’un ours est venu se nourrir dans les débris et…
– “Ecoute pas tout ce que les filles racontent. Elles enjolivent tout.
– Donc y’avait pas d’ours ?
– On a pas vu d’ours. On a juste appris par la suite qu’un ours rodait dans le coin.
– Si je peux même plus me fier à ce que tes copines me disent.
– T’en fais pas, si ces histoires t’intéressent, je serai ravie de te les raconter, et sans en rajouter.
– Je pourrais passer toute ma vie à t’écouter les raconter.”
Bordel ! Mais qu’est-ce qui te prend de dire un truc pareil. Vous vous fréquentez que depuis trois semaines. Demande la en mariage pendant que tu y es. Quel abruti ! Va falloir que je rattrape ça.
Elle sourit.
Elle me sourit.
Je ne l’ai jamais vu sourire autant. Son sourire est si adorable.
“Tu es chou.”
Elle m’embrasse la joue. Elle rejoint ses copines. Je… ne m’attendais pas à ça. Je suis décontenancé. Mais heureux. Aurait-on fait un pas en avant dans notre relation ?
Sur le chemin du retour…
– “Tu as pas trouvé mes copines trop folles ?
– Nan, je les trouve relativement normales… comparées à toi.”
Elle me regarde d’un air circonspect. Elle essaye de déterminer si c’est du second degré. Lorsque je me mets à esquisser un sourire, elle comprend.
“Tu es bête. En tout cas, je suis contente que t’entendes bien avec elles.”
Elle prend mon bras et le serre contre elle. Cela me gêne pour conduire mais je le garde pour moi. Elle se blottit de plus en plus.
Une fois arrivé devant chez elle, je la raccompagne à la porte de son immeuble. Elle me regarde droit dans les yeux. Je vois ses lèvres se tortiller. Elle veut dire quelque chose mais n’y arrive pas, ou n’ose pas. Je ne l’ai jamais vu aussi hésitante, elle qui est si confiante. Je lui fais un grand sourire pour la mettre en confiance.
“Stuart, je… je… je t’aime !”
C’est à cet instant que je me rends compte que ces mots n’ont jamais été prononcés.
“Je t’aime aussi !”
Je comprend alors que c’est elle que je veux, et pas une autre. Peu importe ce qui peut se passer. Peu importe que je ne connaisse pas son prénom. C’est elle.
Je m’avance vers elle lentement. Je la serre contre moi et nous nous embrassons comme jamais nous ne l’avions fait avant.

2 mois plus tard…
Ce jour doit être parfait. Je dois être parfait. Ou le faire croire, tout du moins. L’étape ultime. La plus difficile. Celle qui en fait faillir plus d’un. Les beaux-parents.
J’ai prévu le coup. J’ai apporté des fleurs pour sa mère. Je me suis instruis sur la culture britannique pour son père. J’ai tout fait pour ne pas être en retard. Et vu que je me suis perdu deux fois, j’ai eu raison.
J’aurais préféré qu’elle soit avec moi. Mais je dois faire face à cette porte tout seul. Je suis en train de devenir phobique des portes.
J’appuie sur la sonnette. Puis j’attends. Un moment. Un long moment…
Quel idiot ! Elle m’avait prévenu que la sonnette ne marchait plus.
Je frappe à la porte. Elle m’ouvre la porte, toute souriante, toute en beauté.
“J’ai sermonné mes parents, ils ont promis de bien se tenir.”
C’était donc pour ça qu’elle devait venir en avance au final.
Elle m’invite à entrer.
Mais qu’est-ce que c’est que cette baraque ? Autant l’extérieur ne paye pas de mine, mais l’intérieur, c’est impressionnant. Mais pas autant que son père. Le gaillard est en forme, ça parait évident. Je sors alors ma voix timide et lui tends ma main.
– “Bonjour Monsieur Sky !
– Pas de monsieur. Appelle moi ‘Ton pire cauchemar’.
Daddy ! Tu m’avais promis.
– Désolé, my diamond. Je vérifiais juste si ton Jules avait le sens de l’humour.”
My diamond ? Il est fan de Rihanna ? Shine bright like a diamond.
Il se tourne vers moi.
“Tu peux m’appeler Walter.”
Il me serre la main vigoureusement.
“Enchanté Walter !”
Nous nous dirigeons vers la cuisine où nous attend sa mère. Pris dans cet élan de familiarité, je dis alors :
– “Bonjour Léonie !
– C’est quoi cette familiarité ? On a pas gardé les cochons ensembles. Ce sera Madame Sky pour toi.”
Je ne sais plus où me mettre. Je sens une montée d’angoisse. Elle sourit alors et me rassure.
“Je plaisante. J’ai entendu votre conversation et je voulais te taquiner.”
Je vis l’ascenseur émotionnel le plus violent de ma vie. Mais au moins ça me met dans l’ambiance. Je suis déjà plus à l’aise.
Nous nous installons à table. Nous avons droit à des fish’n’chips fait maison par son père. Un pur délice. Je retire tout à priori que j’avais sur la gastronomie britannique.
Le repas se passe plutôt tranquillement. Ses parents me posent de nombreuses questions sur ce que je fais dans la vie, d’où je viens. Mais ça n’a pas l’air d’être un interrogatoire. Ils ont l’air de s’y intéresser sincèrement. Grosse améliorations par rapport aux beaux-parents de mes ex.
Rainbow et sa mère se retirent dans la cuisine pour faire la vaisselle, me laissant seul avec son père. Je sens venir le discours me conseillant de ne pas faire souffrir sa fille.
Il se lève de table et me fait signe de le suivre.
C’est le moment, on dirait.
“Stuart, est-ce que tu aimes la musique ?”
Je ne m’attendais pas à cette question, je dois dire.
– “Bien sûr.
– Tu écoutes quel genre de musique ?
– Du rock principalement.
– On devrait bien s’entendre dans ce cas.
– Vous… euh… toi aussi ?”
Il va me falloir du temps pour m’habituer à ce tutoiement si soudain.
– “Le rock anglais, j’ai grandi avec ça. Mon père était présent aux premiers concerts des Rolling Stones, avant qu’il ne soient célèbres.
– Impressionnant.
– Mais j’avoue préférer les Beatles.
– Personnellement, ma connaissance du rock anglais se limite à Oasis.
– Alors fais moi plaisir, apprends un peu plus des oeuvres de John Lennon et Paul McCartney.
– Je le ferai.”
Il me tapote l’épaule de contentement. Quelle poigne ! Mais la discussion s’est passé plus doucement que je l’aurais cru.
Je n’avais en fait rien à craindre.
Rainbow, je crois avoir le consentement de tes parents.

3 mois plus tard…
Elle est assise dans son canapé, les yeux rivés sur la feuille posée devant elle. Le crayon à la main, elle réfléchit. Au fur et à mesure qu’elle dessine, elle tire légèrement la langue. C’est mignon. Un tic gardé de son enfance je suppose. Je l’observe tranquillement, profitant de l’instant présent.
Elle me remarque.
– “Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?
– Je me disais…
– Stop ! Pas de suspense. Tu sais que je déteste ça.
– Et ben, ça fait presque six mois qu’on est ensemble et…
– Oh ! Tu veux qu’on fête ça ?
– Oui, mais c’est pas ce que j’avais en tête.
– Quoi alors ?
– Il est peut-être temps qu’on emménage ensemble…?”
Elle pose son crayon et me regarde avec insistance.
“Je me demandais quand tu allais finir par me le proposer.”
Elle se précipite pour se jeter dans mes bras.
– “Tu… tu attendais ça depuis combien de temps ?
– Depuis que j’ai arrêté de chercher une colocataire.
– Donc… tu veux qu’on reste ici, dans ton appart’ ?
– Il ne te plaît pas ?
– Si, il est parfait. C’était juste une question.
– Alors c’est décidé. Je te ferai de la place pour que tu commences à amener tes affaires.”
Je la regarde en souriant. Elle se blottit contre moi. Je n’avais jamais eu le désir de passer ma vie avec qui que ce soit avant elle.

Le lendemain…
– “Donc, si je résume bien, tu vas vivre avec cette fille, que tu fréquentes depuis six mois, et dont tu ne connais pas le prénom.
– C’est exactement ça.
– Ce que je comprends pas, c’est comment tu as pu passer six mois avec elle sans savoir comment elle s’appelle.
– Personne ne l’appelle par son prénom. Ses amis l’appellent Rainbow et ses parents emploient toujours des surnoms affectifs. Du coup, je suis obligé de faire pareil.
– Et tu as pas pensé à regarder sur sa carte d’identité ou sur son courrier ?
– Bien sûr que si, mais je me refuse de fouiller son sac pour zieuter ses papiers et sur sa boîte aux lettres y’a que son nom de famille et ses magazines sont adressés à Rainbow Sky.
– Elle donne son surnom pour s’inscrire aux magazines ?
– En même temps, Rainbow ça lui va tellement bien.
– En tout cas, tu risques pas de crier le mauvais prénom au lit.
– Oui, un des seuls avantages de la situation.
– Et tu comptes la laisser comme ça ?
– J’ai un plan.
– Je suis tout ouïe.
– Vu qu’on va emménager ensemble, va falloir remplir des documents administratifs. Et elle va devoir le faire avec son vrai nom. Donc je vais la laisser remplir sa partie et quand j’irai déposer les papiers, je pourrai enfin savoir.
– C’est malin. Pourvu que ton plan se passe sans accrocs.
– Si avec ça, j’arrive toujours pas à savoir, j’abandonnerai définitivement.”

Une semaine plus tard…
Mon pire ennemi. Les documents administratifs. Je déteste ça. Je sais jamais comment les remplir. C’est toujours tordu, avec des appellations que l’on utilise jamais. Mais cette partie là, c’est fait. Et maintenant ?
Je dois recopier tout ça ? En trois exemplaires en plus. Quelle horreur ! Et sans faire de faute en pl…
Ah bah tiens, suffisait que j’en parle. Je dois vraiment recommencer ? Heureusement, Rainbow a prévu le coup, elle a imprimé une dizaine de feuilles de rechange. Comme si elle savait que j’allais me planter. Elle commence à me connaître à force.
J’ai presque fini. Quand elle rentrera de son boulot elle pourra remplir sa partie. Et à moi la connaissance. Cette connaissance qui me défaut depuis trop longtemps. Son prénom.
Quand on parle de loup…
“Coucou mon chéri ! Je vois que tu t’es penché sur les papiers. Je sais à quel point tu détestes ça.”
Elle me connait vraiment bien en fait.
– “Oui, c’est que j’ai hâte qu’on habite officiellement ensemble.
– C’est chou.
– D’ailleurs je viens de finir, je te laisse remplir ta partie.
– Je dois tout remplir ? Tu aurais pu m’avancer un petit peu au moins. Au moins mettre nom et prénom.”
Euh… Comment dire ?
Elle se mit à rire.
“Déstresse, je plaisante. Par contre je ferai ça plus tard. J’en peux plus de ma journée.”
C’était pas du tout prévu ça. Plan B. Vite ! Je sais, je le verrai de toute façon quand j’irai porter les documents. Ouf ! En attendant, jouons le jeu.
“Oh ! Viens t’affaler dans le canapé dans ce cas.”
Elle ne se fit pas prier. Je la prends dans mes bras et elle me parle de sa journée et de ses déboires. Je l’écoute en regardant son visage couvert de tâches de rousseur. Faites que ce moment ne s’arrête jamais.

Le lendemain matin…
Rainbow court dans tous les sens. Elle est particulièrement speed. Elle serait pas…
– “En retard. Je suis tellement en retard.
– Je vois ça.
– Faut qu’on arrête de parler aussi longtemps le matin.
– C’est mieux que rester silencieux. Et puis c’est toi qui parle le plus, moi je suis toujours à moitié endormi.
– Je sais. C’était plus pour moi la remarque. Et où sont mes…”
Je désigne du doigt l’objet de sa convoitise, posé sur la table basse.
– “Mes clefs, merci.
– Un plaisir.
– Au fait, j’ai pris les papiers pour le bail. Je les remplirai au boulot et les déposerai avant de rentrer.
– NON !”
J’avais dit ça à haute voix. Et un peu trop fort. Elle s’est figée, me regardant d’un air circonspect.
– “Je… excuse moi, je voulais pas que tu partes avant ton bisou du matin.
– Oh ! Pardon, c’est que je suis tellement pressée. Mais tu as raison, y’a toujours le temps pour ça. Mais quel canard tu fais !
– Mais c’est ce que tu aimes chez moi.
– Tout à fait.”
Elle s’approche de moi en courant et m’embrasse avant de reprendre le chemin de la porte.
– “Bonne journée ! Je t’aime !
– Bisous bonne journée je t’aime à ce soir !”
La voilà partie.
Et merde…
Mais c’est pas possible…
Je le saurai jamais. On dirait que l’Univers ne veut pas que je connaisse son prénom. Y’a pas d’autres explications.
Qu’il en soit ainsi. On vivra notre vie comme ça. Peu importe son prénom, ce sera de toute façon ma chérie, mon rayon de soleil, ma Rainbow.

8 mois plus tard…
“Ce parc est magnifique.”
Rainbow et moi avons enfin eu un break dans notre travail pour passer un moment rien que tous les deux. Ce moment je l’attendais depuis des mois. J’avais choisi l’endroit parfait.
– “C’est un collègue qui m’en a parlé.
– C’est un peu loin mais ça vaut vraiment le coup.”
Nous nous baladons le long des sentiers, main dans la main. Rien ne pourrait gâcher ce moment.
“Il va se mettre à pleuvoir d’un instant à l’autre par contre, je pense.”
Pas même ça. Elle regarde avec inquiétude les nuages grisonnants. Je la rassure.
– “Ce n’est pas quelques gouttes qui vont gâcher notre balade.
– Tu as raison.”
Revoilà son adorable sourire.
L’endroit. L’endroit parfait.
Nous y voilà.
– “Chérie, je sais qu’il y a un endroit qui va particulièrement te plaire un peu plus loin. Mais je veux te faire la surprise.
– J’ai compris. Je ferme les yeux.”
Je n’ai même pas eu à argumenter. Je la guide tout doucement jusqu’au fameux endroit. Nous sommes arrivés.
Je regarde le ciel. On dirait que même le temps a choisi de se mettre de mon côté, de me filer un petit coup de pouce. C’est absolument parfait.
Je me met en position.
“Tu peux ouvrir les yeux.”
Je me tiens devant elle, un genou à terre. Derrière moi, des cerisiers en fleur nappent une partie du ciel de pétales roses. Mais ce n’est rien face à la main du destin qui a fait se former un arc-en-ciel.
Rainbow semble perplexe. Elle ne comprend pas. Puis elle voit ce que je tiens dans la main. Une bague.
Son visage s’illumine.
“Depuis que je t’ai rencontré, ma vie a été totalement chamboulé. Je me réveille chaque matin en ne désirant qu’une seule chose, passer la journée avec toi. Tu es vraiment extraordinaire. Et je ne désire plus qu’une chose pour me combler totalement, que tu deviennes ma femme.”
Elle s’agenouille devant moi. Ses yeux s’humidifient. Des larmes commencent à perler, puis à couler le long de ses joues. Elle pose sa main sur la mienne.
“Bien sûr que je veux être ta femme.”
Mon coeur fait un bond. Je retiens mes larmes. C’est la première fois que j’ai envie de pleurer de joie.
Je prends sa main et lui passe délicatement la bague au doigt. La taille est parfaite. J’avais peur de ça. Comment gâcher un instant si parfait. Mais au final, je crois que rien n’aurait pu le gâcher.
Je l’embrasse et la sers contre moi.
Le plus beau moment de ma vie.

Deux jours plus tard…
– “Vite, montre la moi.
Mummy, calme-toi.”
Première visite chez mes beau-parents depuis que je lui ai passé la bague au doigt. Ils sont visiblement ravis. Rainbow m’a dit qu’ils avaient préparés un festin pour fêter les fiançailles comme il se doit.
Léonie demande plusieurs fois des détails sur ce que nous prévoyons pour le mariage tout au long du repas. Il faut dire que nous n’en avons pas encore parlé. On souhaite juste profiter pour le moment.
“Quoi ? Hors de question que tu épouses ma fille. Comment peux-tu prétendre la connaître ?”
Walter semble profondément contrarié. Je n’ai pas réellement suivi la conversation. Je ne suis pas sûr de quoi il parle. Aurais-je commis une erreur ?
– “Daddy, sois gentil.
– Il ne connaît même pas ton nom en entier. C’est tout de même… amazing.”
C’est ce que je craignais. Le rideau tombe. La mascarade aura duré plus d’un an. Mais j’échoue dans la dernière ligne droite.
Rainbow ne voudra plus de moi. Lui avoir menti tout ce temps. J’ai été tellement stupide de lui avoir caché. Je suis sûr qu’elle aurait compris. Mais c’est trop tard.
C’est fini.
Daddy, tu en fais trop. Ce n’est que mon deuxième prénom. Il n’a pas besoin de savoir ça pour me connaître.”
Son… son deuxième prénom ?
– “Stuart, tu es tout blanc. T’en fais pas. Je t’assure que je m’en fous. D’ailleurs, je crois que je ne connais même pas le tien.
– T… Thierry, comme mon père.
– Et le mien c’est Julia. Voilà, maintenant arrêtons de faire une montagne de choses insignifiantes.”
Je… Je n’arrive plus à penser. J’ai eu tellement peur.
Et ce sentiment. Le sentiment que j’allais la perdre. Insupportable.
Mais j’ai été sauvé. Quelques secondes de plus et j’aurais tout déballé. Ça aurait été catastrophique.
Walter s’est finalement calmé.

Le jour du mariage…
“Le jour J, mec. Tu y es arrivé.”
Bobo m’étreint pour me féliciter. Je suis particulièrement touché venant de sa part, lui qui exècre le principe du mariage.
Je me tourne vers mes parents. Je sais que ma mère désapprouve. Elle ne comprend pas que je puisse me marier avec quelqu’un dont je ne connais pas le prénom. Mais elle l’accepte.
– “Papa, maman. Vous êtes là.
– Bien sûr, c’est quand même ton mariage. Nous n’allions pas rater ça.”
Ma mère est sèche dans ses propos.
“Sonia, montre un peu d’entrain au moins.”
Mon père joue le jeu. Il apprécie Rainbow. Je crois même qu’il comprend ma situation. Il m’avait aidé pour tenter lui faire dire son prénom dans les débuts, en vain.
Je m’occupe des autres invités.
– “Salut No’ ! Où en est-elle ?
– Elle finit de se préparer. Elle veut être parfaite.
– Elle le sera de toute façon.”
J’ai hâte de la voir dans sa robe. Je ne sais même pas à quoi elle ressemble. Elle m’a fait promettre de ne pas la voir avant le mariage. Elle l’avait laissée chez Noémie pour s’assurer que je ne triche pas.
La voiture des beaux-parents arrive. Walter s’arrête et fait descendre sa fille. Je m’approche.
Elle est resplendissante. Et sa robe. Oh bon sang, sa robe ! Encore plus merveilleuse que je ne l’imaginais. Surtout le léger reflet irisé qui donne l’impression de voir… un arc-en-ciel.
Oh ! Rainbow. Si tu savais comme je veux te rendre heureuse.
Elle s’avance vers moi, toute souriante, comme à son habitude.
“Je suis prête à devenir ta femme.”
Durant la cérémonie…
Je regarde en arrière. Toutes ces personnes qui sont venus assister à ce moment. Notre famille, nos amis, nos collègues. La scène est émouvante. Pourtant, je ne m’émeus pas facilement.
Le maire prend la parole.
“Nous sommes réunis ici…”
Il y a également une autre chose que ce mariage va permettre…
“… pour unir cet homme et cette femme.”
Connaître son nom. Le nom de ma Rainbow.
“… prendre pour époux Stuart…”
Non. Non. Non. C’est pas possible. Suis-je le plus grand abruti que la Terre ait porté ?
J’ai. Encore. Loupé. Son. Prénom.
“Bien sûr que je le veux.”
Stuart. Tu arrêtes de déconner. Maintenant tu te concentres. C’est ta dernière chance.
“Stuart Petit, voulez-vous prendre pour épouse Lucy Sky…”
Lucy. Elle s’appelle Lucy. Enfin.
Je comprends maintenant. Son nom. Les jeux de mots. Lucy in the sky with diamonds. Diamonds ? Oh mais oui. C’est de là que ça vient, le petit nom que ses parents lui donnent. Des Beatles. Pas de Rihanna. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
Tout le monde a les yeux rivés sur moi. Comme s’ils attendent quelque chose. Lucy – que je peux appeler par son prénom maintenant – me regarde avec insistance.
Ai-je oublier quelque… Oh ! Bien sûr…
“Je le veux plus que tout au monde.”
C’était probablement pas le meilleur moment pour rester dans ses pensées.
“Je vous déclare dès à présent, unis par les liens du mariage. Vous pouvez emb…”
Nous n’avons pas attendu la fin de la phrase pour nous jeter l’un sur l’autre et nous embrasser. Notre premier baiser en tant que mari et femme.
Je la regarde droit dans les yeux et lui adresse un sourire qu’elle me rend immédiatement. Elle se penche doucement à mon oreille pour me dire quelques mots. Des mots qui me glacent le sang. Des mots qui font faire un bond à mon coeur.
“Maintenant que tu connais enfin mon prénom, tâche de pas l’oublier.”

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