Patient 84

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Les gens m’appellent Patient 84. Je n’aime pas ce nom. C’est trop impersonnel. Avec les autres patients on s’est donné de vrais noms. Le mien, c’est Tomass. J’aime bien Tomass. C’est joli. C’est harmonieux. C’est un vrai nom. J’aime bien les autres patients. Ils sont comme moi. Ils sont gentils. On s’aide. On s’entraide quand les gens viennent nous voir. Je n’aime pas les gens. Ils sont méchants. Ils disent qu’ils veulent nous aider. Mais ils ne nous aident pas. Enfin je ne crois pas. Ils nous font des tests. Je n’aime pas leurs tests. Des fois ils font mal. D’autres fois ils sont juste désagréables. J’en avais marre. Alors je suis parti. Sans leur dire.
Les gens devaient m’aider. Il paraît que j’ai un problème. Quelque chose qui n’est pas normal. Je l’ai depuis toujours alors je ne pensais pas que c’était anormal. Mais ils essayent de m’aider. Ils m’aident à enlever les voix dans ma tête. Mais ils n’y arrivent pas. Les voix sont toujours là. Elles continuent de me parler. Mais je ne les écoute pas. Je ne les comprend pas. Elles parlent bizarrement. Elles utilisent un langage complexe. Alors je les ignore. Je les laisse parler.
Je ne sais plus comment je suis parti. Mais le principal c’est que je n’y sois plus. Je n’étais jamais parti. Je ne savais pas à quoi ressemblait le monde extérieur. C’est beau. C’est impressionnant. C’est immense. Il y a de grands cylindres qui cachent l’astre qui me permet de voir. Mais c’est bizarre, l’astre qui permet de voir me fait très mal aux yeux. Alors je ne le regarde pas. Il y a pleins de choses vivantes dans cet endroit, en plus des grands cylindres. Mais c’est les cylindres les plus importants. Ils sont un symbole pour la vie. Ils aident la vie. La vie de cet endroit.
Je vois un autre vivant. Il a arrêté de bouger quand il m’a vu. Il a peur. J’ai peur. Les seuls vivants que j’ai rencontré sont les gens et les patients. Il est beau ce vivant. Majestueux. Noble. Il a des ornementations sur la tête. Je m’approche pour toucher les ornementations. Mais le vivant s’enfuit. Comme moi. Je me suis enfui. D’un monde carcéral vers un monde où tout est plus beau. Où les vivants sont différents. Où les vivants sont nombreux. Très nombreux. Le monde est beau dehors.
Les ondes au dehors sont différentes. Plus agréables. C’est du bruit. Du bruit ambiant. Des crépitements. Des couinements. De nombreux bruits différents. Ce sont de bonnes ondes. Pas comme celles que je recevais depuis ma chambre. Des ondes assourdissantes. Abrutissantes. Monotones. Sans harmonie. Sans saveur. Sans intérêt. Elles provenaient des machines qui fonctionnaient sans cesse. Des ordinateurs qu’on utilisait. Je n’aimais pas ces bruits. Je n’aimais pas ces ondes.
Je voudrais donner un nom à cet endroit. Mais je ne sais pas trouver les noms. C’est Mino qui savait le faire. C’est lui qui m’a donné le mien. Il s’est donné le sien aussi. Il trouve de beaux noms. Des noms qui représentent bien les choses. N’importe quel chose. J’aimerais qu’il soit là. Il trouverait un nom pour ce magnifique endroit. Je pourrais tout de même essayer d’en trouver un moi-même. Mais c’est trop tard. C’est fini. Il n’y a plus de cylindres. Les cylindres sont derrière moi. Et je ne retournerai pas les voir.
Plus de cylindres. Mais des lignes. Des lignes sombres. De longues lignes qui s’en vont à l’horizon. Si loin qu’on ne voit pas le bout. Étrangement il n’y a plus de bruits. Il y a du silence. C’est bien le silence. C’est reposant. C’est rassurant. Je m’approche de la ligne. En posant mon pied je sentis que la ligne était chaude. Elle était même brûlante. Mais c’était agréable. Je m’allonge sur la ligne. Je ferme les yeux. Je laisse l’obscurité m’envahir. Je laisse mon cerveau s’éteindre.

Danger. Danger. Danger. Une onde. Une onde dangereuse. Danger. Alerte. Vite. L’onde est dangereuse. Cette onde est dangereuse. J’ouvre les yeux. Vite. Aussi vite que je le peux. Je me redresse. Je regarde le long de la ligne. Je vois une forme étrange. Peu commune. Elle produit beaucoup d’ondes. Mais elle est encore loin. Je la regarde. Elle n’est pas belle. Elle est désagréable. Je ne l’aime pas.
Le polygone s’arrête juste à côté de moi avec une onde violente. Mes oreilles ont mal. C’est un appareil mécanique. Il y a un vivant. Il me regarde. Un vivant semblable aux gens, mais moins semblable aux patients. Les patients sont différents. Ce vivant là il est gentil. Pas comme les autres gens. Il a un visage amical. Il sort de son appareil mécanique. Il s’approche de moi.
“Vous allez bien ?”
Les ondes. Les mêmes que les gens. Il est comme eux. C’est sûr. Mais pourquoi est-il gentil ? Peut-être peut-il m’aider pour les voix. Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai parlé qu’aux gens. Et c’était difficile.
“Affirmatif.”
Il semblait satisfait de ma réponse. Il souriait. Il me releva. Il m’installa dans l’appareil mécanique. Cet appareil mécanique était étrange. On pouvait voir au travers. Comme les murs de ma chambre. Mais on ne pouvait pas voir partout. Le gens était aussi dans l’appareil mécanique. Et il fait avancer l’appareil mécanique. Je comprenais comment il le faisait avancer.
“Dans un premier temps le piston descend, la soupape d’admission est ouvert et le cylindre se remplit d’un mélange d’air et d’essence. Dans un deuxième temps le piston remonte, les deux soupapes sont fermées, le mélange d’air et d’essence se comprime. Dans une troisième temps le piston arrive entre les électrodes de la bougie qui éclate l’étincelle enflammant instantanément le mélange d’air et d’essence comprimé, puis s’ensuit une montée en pression qui repousse le piston vers le bas. Dans un quatrième temps le piston remonte, la soupape d’échappement s’ouvre permettant l’évacuation des gaz brûlés. Tout ceci fait avancer l’appareil mécanique.”
Le gens avait les yeux tout ronds. C’était drôle. Il n’avait pas l’air de comprendre ce que je disais. Comment peut-il faire avancer le polygone sans comprendre comment le faire ? Peut-être n’a-t-il pas forcément besoin de la connaissance. Les gens sont bien étranges. Le gens continue de me parler. Je ne connais pas tous les termes qu’il emploie. Alors je ne dis rien. J’attends.
Je regarde à travers la matière sans couleur. Ma vision est déformée. Je vois certaines choses normalement, mais le reste, ce qui est le plus près, est déformé. Je n’aime pas. Cela me fait mal à la tête. Je sais pourquoi c’est comme ça. Parce que je me déplace trop vite pour mes yeux. Mes pauvres yeux. Je me concentre. Je me concentre fort. Ma vision est normale à nouveau. Elle est en différée. Ce n’est plus déformé. C’est agréable.
Le gens m’emmène dans un endroit où se trouve de nombreux parallélépipèdes géants peuplés de nombreux gens. Cet endroit est très étrange. Mais une certaine harmonie y règne. Mais les ondes visuels ne sont pas très agréables. C’est terne. C’est monotone. C’est triste. Je me sens triste. Triste d’avoir laissé les patients. D’avoir laissé… mes amis…
Le vivant m’emmène jusque dans une parallélépipède où se trouve plein de choses colorées. C’est une explosion d’onde visuel. C’est beau. Très beau. Il semble qu’il tente de m’expliquer quelque chose. Que ces choses colorées doivent se porter sur soi. Comme lui. Mais je n’ai jamais rien porté. Rien à part ce que je porte. Il est de couleur pleine. J’aime les couleurs pleines. Mais les couleurs incomplètes qu’ils me donnent sont intéressantes. Alors je les essaye.
Il a l’air content. J’ai bien fait d’essayer. De surcroît, c’est confortable. Beaucoup plus confortable. Il appelle cela « vêtement ». J’aime le vêtement.
Va-t-en.
La voix, elle me parle. La voix dans ma tête. Elle me parle. Elle veut que je parte. Mais j’aime le vivant, j’aime le vêtement, j’aime la découverte. Je ne pars.
Ils vont te retrouver. Va-t-en.
Les gens vont me retrouver ? Non, je ne veux pas. Je ne te crois pas. Ils ne savent pas où je suis.
Ils vont savoir. Ils vont te retrouver.
Non. Non. Je me frappe la tête. Très fort. Je ne veux plus entendre cette voix. Je ne l’aime pas celle-là. Elle dit des choses qui font peur. Mais elle a toujours raison.
Ils vont savoir.
Je dois faire taire la voix. Le vivant s’inquiète de mon comportement. Mais je dois faire taire la voix. Je vois un autre vivant dans le parallélépipède. Il est de couleur fractionnée. Il porte quelque chose sur lui. Un étrange appareil de couleur vide. J’observe l’appareil. Je comprend comment il fonctionne. Il peut m’aider à sortir les voix. J’espère.
“L’énergie du recul lors du tir est captée par un mécanisme qui éjecte l’étui utilisé puis charge une nouvelle balle depuis le magasin. La balle tirée atteint une vitesse moyenne de 368 mètres par seconde pour une énergie déployée de 51 kilogramme par mètre et une portée de 50 mètres.”
Le vivant me regarde étrangement. Il met sa main sur l’appareil. Il tend l’appareil vers moi. Danger. Danger. Danger. Je m’approche de lui sans qu’il puisse bouger. Je bouge très vite. Les patients m’ont apprit à bouger très vite. Ils m’ont dit de ne le faire que s’il y a du danger. Danger. Il y a du danger. Je bouge très vite vers le vivant et prend l’appareil sans qu’il puisse bouger. J’ai l’appareil. Je me place dans un sommet du parallélépipède. Je veux être tranquille. Je ne veux plus des voix. Le vivant s’approche. Il tend les mains. Il veut m’aider ? Il veut me débarrasser des voix ? Il ne peut pas. Comme les autres gens. Il me demande quelque chose. Quelque chose que je comprend.
“Comment t’appelles-tu ?”
Il veut mon nom. Mais lequel ? Je ne sais pas. Mais c’est sûrement le nom que m’a donné Mino. Tous les gens connaissent mon autre nom, pourquoi pas lui.
“Tomass.”
“Thomas ?”
Je fais non de la tête. Il ne comprend pas mon nom. C’est Tomass. C’est Tomass mon nom. C’est…
“… Tomass.”
Il parle encore. Je ne comprend pas. Il dit mon nom correctement cette fois. Il le répète souvent.
Va-t-en.
La voix. Je dois la faire partir. Je met l’appareil contre ma tête. Le vivant s’approche vite de moi. Il veut m’empêcher de faire partir les voix. Je le savais. Les gens mentent. Ils ne veulent pas que les voix partent. Je fais fonctionner l’appareil.
Une grosse onde. Une grosse onde sonore. Elle fait mal à l’oreille. Très mal. Je n’entend plus. Je ne perçois plus d’onde. J’ai la tête qui tourne. Je vois mal. Les ondes sont floues. Les gens ont peur. Ils sont autour de moi. Je n’aime pas. C’est étouffant. Mais ils ont l’air de vouloir m’aider. Pourtant je vais bien. Je pense. J’ai un peu mal à la tête. En fait, je ne vais pas bien. Je ne vois plus rien. Je ne peux plus bouger. Je suis parti.

Je suis revenu. Que c’est bon de revenir. Tout était vide. Vide. Complètement vide.
Bonjour.
Non, la voix est encore là. Elle n’est pas partie. J’ai échoué. Rien ne marche. Rien ne peut la faire partir. Elle restera avec moi à jamais.
Vous m’entendez ?
La voix ne parle pas comme avant. Il y a quelque chose de différent. Ce n’est pas la même. Une autre voix. Peut-être que la voix a été remplacée par une autre. Peut-être que cette voix, je vais l’aimer. J’espère que je vais l’aimer.
Vous m’entendez ?
Oh ! Mais ce n’est pas une voix. C’est un vivant. Il se trouve juste en face de moi. C’est un vivant de couleur pleine. Il est agréable. Très agréable. Il veut m’aider. Je le sens. Peut-être arrivera-t-il à faire partir la voix. Mais tout d’abord, il attend une réponse de ma part.
“Affirmatif, j’entends.”
“Très bien. Quel est votre nom ?”
Les gens ont l’air d’aimer connaître les noms. Mais le nom ne permet de définir, juste d’identifier.
“Tomass.”
“Thomas ?”
“Négatif, Tomass j’ai dit.”
Pourquoi personne ne comprend mon nom du premier coup ? Il est simple. Facile à retenir. C’est un bon nom.
“Très bien Tomass. Quel est ton nom de famille ?”
“Famille ?”
“Oui, famille.”
“Je n’ai pas de famille. Juste Tomass.”
“Oh ! Savez-vous ce qui vous est arrivé ?”
“J’ai tenté de faire partir les voix.”
Le gens est surpris. Et inquiet. Peut-être n’aurais-je pas dû parler des voix. Trop tard.
“Parlez-moi de ces voix.”
“Je ne veux pas.”
“Pourquoi ?”
“Je n’aime pas les voix.”
“Elles vous disent quoi ?”
“Elles me conseillent. Mais je ne les écoute pas.”
“Les voix sont-elles encore là ?”
“Négatif, elles ne sont plus là, pour l’instant.”
“Savez-vous exactement ce qu’il s’est passé ?”
“Je ne comprends pas.”
Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai tenté d’enlever les voix parce que les gens n’y arrivaient pas. Peut-être me parle-t-il de la façon dont j’ai tenté de les enlever.
“C’est la façon dont j’ai tenté d’enlever les voix qui t’inquiètes ?”
“Oui, c’est cela. Et je ne suis pas inquiet.”
“Tu es inquiet.”
“Un peu, pour vous. Je ne voudrais pas que vous recommenciez.”
“Je ne recommencerai pas. Les voix sont parties, je n’ai pas besoin de le refaire. Et si elles n’étaient pas parties, je ne le referai pas non plus, vu que ça n’aurait pas marché.”
“Je l’espère, car vous avez eu beaucoup de chance.”
De la chance ? Qu’est-ce que la chance ? Tout était prévu. Je savais que rien n’allait m’arriver. C’était calculé. Tout était calculé.
“Vous vous êtes tiré une balle dans la tête, mais elle a ricoché sur votre crâne.”
“Structure osseuse renforcée, plus épaisse et plus résistante.”
“Vous êtes donc au courant de votre état ?”
“Affirmatif, les gens me l’ont dit.”
“Qui donc ?”
“Les gens.”
“Qui sont ces gens ?”
“Ceux disaient m’aider à faire partir les voix. Ils ne m’ont pas aidé. Je n’aime pas les gens.”
“Tomass, qui sont-ils ?”
“Ils sont comme toi. Mais toi je t’aime. Tu veux m’aider. Vraiment m’aider.”
“Ce sont des médecins ?”
“Négatif, ce sont les gens.”
“Et que t’ont-ils fait ces « gens » ?”
“Comme aux autres patients, des expériences.”
“Les autres patients ?”
“Affirmatif, ceux qui sont restés là-bas.”
“Et pourquoi n’es-tu pas avec eux ?”
“Il y a eu un incident, et je suis parti. Je ne l’ai pas dit aux gens. Ils doivent être mécontents.”
“Tomass, c’est très important. Est-ce que tu pourrais y retourner ?”
“Je ne veux pas y retourner. Je n’aime pas cet endroit.”
“Mais est-ce que tu pourrais y retourner ?”
“Affirmatif. Mais je ne veux pas y retourner.”
“Tu n’y retourneras pas, je m’en assurerai.”
“Tu es gentil, je t’aime.”
“Merci, Tomass. Je dois y aller, repose-toi bien.”
Le gentil gens s’en va. Il est en dehors du cube dans lequel je me trouve. J’aime parler avec lui. J’arrive très bien à parler avec lui. Mieux qu’avec les autres gens. Mieux qu’avec les autres patients. Mieux qu’avec Sizy avec qui j’arrive très bien à parler.
Tout est de couleur pleine autour de moi. Les vivants et les choses. J’aime cet endroit. Je m’y sens en sécurité. Tout y est différent par rapport à avant. Je voudrais qu’avant n’existe plus. Qu’avant n’ait jamais existé. Mais c’est improbable. Les gens me chercheront. Les gens me trouveront. Je ne vais pas aimer quand il me trouveront.

Il y a un vivant avec moi. Je connais ce vivant. Il m’a acheté un vêtement. Il s’inquiète. Il se sent responsable. Je veux le rassurer. Je ne sais pas rassurer mais je veux essayer. Je lui souris et je lui dis trois termes.
“Je vais bien.”
Il sourit à son tour. Je l’ai rassuré. Je suis content. Je sais rassurer.
Le vivant me parle. Il n’arrête pas de me parler. Mais je ne le comprends pas. Je ne comprends rien. J’ai beau me concentrer, essayer, rien n’y fait. Certains gens garderont des paroles incompréhensibles pour moi.
Je veux rester ici. J’aime beaucoup cet endroit. Je veux y rester le plus longtemps possible. Avec le gentil gens. Il vient me voir souvent le gentil gens. Il me dit qu’il a quelqu’un à me présenter. Un autre gentil gens j’espère. J’ai hâte qu’il me le présente. Car le gentil gens m’a dit qu’il pouvait m’aider à faire partir les voix. Qu’il l’avait déjà fait avec d’autres personnes. Je ne veux plus des voix. Je veux être sûr qu’elles soient parties.
Ils m’ont apporté quelque chose d’étrange. Je vois que ça contient beaucoup de choses importantes pour le corps, mais les effluves olfactives et gustatives sont étranges. Je n’ai pas envie de m’approvisionner. Cela semble encore pire que les approvisionnements d’avant. Avant, c’était moins approvisionnant, mais cela avait de meilleurs effluves, bien meilleures. Mais je n’y retournerai pas. Même si les effluves sont les meilleures.
Le gentil gens vient me voir à nouveau. Je suis content. Il vient me voir souvent. Il doit m’aimer aussi. Il me dit que le gens qu’il doit me présenter est là. Je manifeste mon contentement et il est ravi de voir mon air enjoué. Je veux que les voix partent. Il s’en va pour aller le chercher. Je le vois pas la porte et…
Danger. Danger. Danger. Danger. Ils m’ont retrouvé. Le gens. Il m’a retrouvé. Il était là avant. Il n’a pas fait partir les voix. Danger. Danger. Il m’a retrouvé. Il va me faire du mal. Danger. Je ne veux pas retourner là-bas.
Fuis.
La voix. Elle est revenue. Elle est revenue. Je ne veux pas l’écouter.
Fuis.
Fuir. Je dois fuir. La voix a raison. Je dois partir. Mais je ne dois pas écouter la voix. C’est le gentil gens qui me l’a dit. Je ne dois pas écouter la voix.
Fuis.
Je dois fuir. Je ne dois pas fuir. Je dois fuir. Je ne dois pas fuir. J’ai mal. Je ne veux pas avoir mal. Dilemme. Dilemme. Je dois fuir. Je ne dois pas fuir.
Réflexion…




Réflexion terminée. Je dois fuir. Danger trop important. Fuir. Fuir.
Je dois fuir. Mais je n’ai pas de moyen de m’enfuir. Fuir. Pas de moyen.
Recherche de solution…




Recherche de solution terminée. Je dois fuir à travers la matière sans couleur. Je dois l’annihiler. Risque moyen.
Je me libère. Je dois fuir. Je prends le petit parallélépipède. Je dois fuir. Je le projette contre la matière sans couleur. Je dois fuir. La matière sans couleur est annihilée. Je dois fuir. Je m’enfuis.
Je tombe. Je tombe quelques instants. J’atterris. Je me réceptionne grâce à tous mes membres. Je me suis enfuis.
Cours.
Je ne dois plus écouter la voix. Je dois faire mes propres choix.
Je dois me dissimuler. Ils vont me chercher. Je me dirige vers un endroit étrange où se trouvent de nombreux appareils mécaniques. Un m’intéresse. C’est celui du gentil gens. Je le sais. Il y a les mêmes effluves olfactives. Je dois m’y cacher. Je dois parler au gentil gens. Je dois aller dans l’appareil mécanique. Mais il est fermé. Je dois l’ouvrir. C’est simple. Très simple.
L’appareil mécanique est accessible. Je me dissimule à l’intérieur. Je ne laisse aucune trace de ce que j’aurais pu faire.
J’attends. J’attends. J’attends que le danger disparaisse. J’attends d’être en sécurité. J’attends le gentil gens. J’attends pour lui parler.
Le gentil gens. J’aime le gentil gens.

Le Docteur Louis Simon s’investissait au maximum dans chacun de ses patients. Mais celui-ci était particulier et demandait beaucoup d’attention. Cependant, il avait failli à sa tâche. Il avait perdu un patient. Ce patient n’était pas mort, mais juste en fuite. Il prétendait s’appeler Tomass et que certaines personnes étaient après lui pour lui faire subir des expériences douteuses. Il avait l’air convaincu de ce qu’il disait. Il ne décelait aucun signe de mensonge dans ce patient, comme s’il en était incapable. De plus, sa manière de parler était peu commune.
Le docteur Simon ne savait pas ce qu’il devait en penser. Il ne savait pas si son patient était psychotique, retardé mentalement, ou les deux à la fois. Il semblait sain, si on excluait le fait qu’il s’était tiré une balle dans le crâne. C’est pourquoi il avait demandé l’avis d’un confrère psychologue. Ce fut juste avant les présentations que Tomass s’enfuît. Il n’eut pas le temps de bien voir la scène, mais il semblait avoir peur. Que cette fuite était la manifestation de son instinct de survie.
La sécurité ne le retrouva pas. Elle chercha partout. Dans l’hôpital, dans le parking, à cent mètres autour de l’hôpital. Tomass devait être loin. Perdu dans ce monde urbain. Seul. Le Docteur Simon priait pour qu’il ne lui arrive rien.
Une fois sa journée mouvementée terminée, il rentra chez lui. En sortant de l’hôpital, il regarda autour de lui des fois qu’il aperçût Tomass. Ce ne fut pas le cas. Il arriva jusqu’à sa voiture. Il se rendit compte qu’elle n’était pas fermée. Il était pourtant persuadé de ne pas l’avoir laissé ouverte. Il s’installa au volant. Il regarda dans son rétroviseur et vit quelqu’un. Il sursauta et se tourna immédiatement. C’était Tomass. Son patient. Tomass l’attendait. Tomass le regardait avec son air innocent.
Le Docteur Simon lui demanda comment il avait fait pour rentrer dans sa voiture. Il n’eut pas de réponse. Il réfléchit alors et songea que c’était lui qui l’avait ouvert. Il était assez impressionné par les capacités de son patient.
Le Docteur Simon ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas s’il devait le ramener à l’hôpital. Il hésitait. Et il fit quelque chose qu’il n’aurait jamais pensé faire : il emmena un patient chez lui. Il préférait cela. Tomass serait plus en sécurité. De plus, il avait l’air de lui faire confiance. Il le ramènerait le lendemain à l’hôpital pour se faire soigner.
Tomass ne prononça pas un mot du trajet. Il regardait juste le médecin. Comme s’il le scrutait pour connaître chaque parcelle de son esprit. C’était effrayant. Le Docteur Simon commençait à être mal à l’aise. Il se demandait aussi ce qu’allait en penser sa femme.
Ils arrivèrent finalement à la maison du Docteur Simon. Une belle et grande maison. Une petite cour sur le devant. Il y gara sa voiture. Il sortit et se précipita pour aller aider Tomass à sortir de la voiture. Ce dernier n’eut pas besoin d’aide. Il semblait avoir compris qu’ils étaient arrivés. Il devança même le Docteur pour rentrer dans la maison mais celui-ci le retint. Il ne pouvait pas laisser ce patient vagabonder dans sa maison sans avertir sa femme au préalable.
Le Docteur Simon laissa Tomass sur le pas de sa porte et alla immédiatement voir sa compagne. Il la trouva dans le salon. Elle semblait très heureuse de le voir.
“Oh ! Louis. Je suis contente que tu sois rentré. J’ai passé une journée épouvantable. Tous mes collègues étaient contre moi aujourd’hui. À croire qu’ils se sont passés le mot. Et… pourquoi fais-tu cette tête-là ?”
Le Docteur regarda sa femme et prit une profonde inspiration avant de lui annoncer la nouvelle.
“Je sais que tu ne vas pas être contente…”
“Qu’est-ce que tu as encore fait ?”
“Et bien… j’ai ramené un patient à la maison…”
“Oh ! C’est tout ? À voir ta tête je pensais qu’un patient t’avait poursuivi en justice.”
“Mais tu n’es pas contrariée ?”
“Tu fais ce que tu veux avec tes patients. Ce n’est pas moi qui ai prêté le serment d’Hippocrate.”
“C’est que celui-là requiert une attention particulière… surtout depuis qu’il est en fuite.”
“En fuite ? C’est quoi cette histoire ?”
Elle s’énerva alors. Elle attendait des explications.
“Il s’est enfui par la fenêtre de sa chambre et s’est réfugiée dans ma voiture. Je ne pense que ce soit une bonne idée de le ramener à l’hôpital.”
“Oh ! Tu m’as fais peur. J’ai cru que c’était un fugitif ou quelque comme ça.”
“Non, rien de tout ça.”
“Et où est-il ce patient ?”
Louis Simon lui fit signe d’attendre et s’en alla. Il revint tout de suite après avec Tomass qui le suivit. Ce dernier restait en retrait. Le Docteur essayait de le pousser à avancer.
“Comme je le disais, il a besoin d’une attention particulière.”
“Oh ! Il est retardé mentalement ?”
“C’est possible. J’ai essayé de lui amener un psychologue mais il s’est enfuit avant.”
Tomass regardait les deux et prit la parole.
“Pas retardé mentalement.”
“Il parle, c’est déjà ça.”
“Il parle peu par contre, et toujours bizarrement. Pourquoi « pas retardé mentalement » ?”
“Les gens disaient pas « retardé mentalement ».”
“Ceux qui ont promis de t’aider ? Ils disaient quoi ?”
“C’est quoi cette histoire ?”
“Je t’expliquerai.”
“Ils disaient « avancé mentalement ».”
“Avancé mentalement ? Tu es très intelligent ?”
“Intelligent ?”
“Connais-tu ton Quotient Intellectuel ? Ton Q.I. ?”
“Les gens disaient que le test de Quotient Intellectuel ne s’applique pas à nous.”
“Toi et les autres patients ?”
“Moi et les autres patients.”
Tomass s’installa sur le canapé de velours et se blottit du mieux qu’il put. Le Docteur Simon était perplexe quant à cette discussion. Ce patient n’avait pas l’air de délirer. Il semblait parfaitement lucide. Sa femme ne comprenait absolument rien. Son mari lui expliqua alors tout ce dont il avait connaissance ce qui était au final assez peu. Elle fut alors abasourdie. Ils laissèrent Tomass sur le canapé tout en le surveillant, au cas où.

Le Docteur Louis Simon avait appelé un de ses amis, un psychologue renommé. Celui-ci vint mais ne savait pas ce qui l’attendait. Il fut alors présenté à Tomass. Une fois la situation expliquée, le psychologue s’installa à côté de lui et essaya d’entamer la conversation.
“Bonjour Tomass !”
“Tu connais mon nom ?”
“Oui, je le connais.”
“Comment tu le connais ?”
“C’est le Docteur Simon qui me l’a dit.”
“Le gentil gens ?”
“Affirmatif, le gentil gens.”
“Tu es là pour faire partir les voix. Je n’aime pas les voix.”
“Je ferai de mon mieux, mais je ne peux rien te promettre. Raconte-moi ce qui t’est arrivé.”
“Et bien les gens m’ont promis de faire partir les voix.”
“Qui t’a promis cela ?”
“Les gens.”
“Mais qui sont-ils ?”
“Ceux qui disent vouloir nous aider. Ceux qui font des tests sur nous.”
“Quels genre de tests ?”
“Des tests qui font mal. Des tests qui ne font pas mal.”
“Et que faites-vous dans ces tests ?”
“On est sur une table. On est attaché. Des fois, on est devant un rectangle vide.”
“Un tableau ?”
“Et il y a pleins de choses sur ce rectangle. Et les gens nous disent de corriger les choses. De faire qu’elles correspondent.”
“Correspondent avec quoi ?”
“Avec tout.”
“Et pourquoi te font-ils faire ça ?”
“Parce qu’on est avancé intellectuellement.”
“Tomass.”
“Je suis Tomass.”
“Qu’est-ce que tu veux ?”
“Je veux ne plus retourner là-bas. Je veux que les patients ne retournent plus là-bas. Je veux que les voix partent. Et je veux tout voir.”
“Je ferai tout pour t’aider.”
“Tu feras partir les voix ?”
“Si je peux, oui.”
“Tu es un gentil gens. Je t’aime.”
Le psychologue s’éloigna de Tomass et alla immédiatement voir son collègue qui avait assisté à toute la scène. Ils discutèrent alors de l’état de ce patient et des mesures à prendre. Le psychologue exposa alors son point de vue.
“Il est possible qu’il fasse un délire paranoïaque très poussé. Mais j’ai quelques doutes là-dessus. Je pense plutôt que ce pauvre jeune homme a été séquestré, utilisé comme cobaye. Et il n’est pas le seul.”
“C’est exactement ce que je pensais. Il est trop sincère. On peut sentir sa peur tellement elle est palpable.”
“Il faut arrêter cette monstruosité. Il va falloir qu’il nous amène là-bas.”
“Jamais il ne voudra. C’est le dernier endroit où il voudrait se trouver.”
“Alors, il faut qu’il trouve une de ces personnes à l’extérieur.”
“C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.”
“Peut-être en a-t-il déjà reconnu.”
“Si c’était le cas, il se serait déjà terré très l…”
Le Docteur Simon s’arrêta et réfléchit. Il eut un éclair de génie. Il se précipita sur Tomass pour obtenir confirmation. Il le regarda droit dans les yeux et ne posa qu’une question.
“Tomass, écoute-moi bien. Si tu t’es enfuis tout à l’heure, c’est que tu as eu peur. Qu’est-ce qui t’a fait peur ?”
“Le gens. Le méchant gens. Celui qui était à proximité de toi.”
Le Docteur eut la confirmation qu’il attendait. Le psychologue qu’il allait présenter à son patient faisait partie des personnes qui s’occupaient déjà de lui, en s’en servant de cobaye. Ils pouvaient essayer de le confronter et peut-être dévoiler cette mascarade et arrêter cette monstruosité. Ils pouvaient aider Tomass à vivre libre et sans craintes.

On est lors d’une nouvelle révolution. Le gentil gens et l’autre gentil gens m’emmènent quelque part. Je ne sais pas où. Mais je leur fais confiance. La voix ne m’a pas parlé depuis longtemps.
Tout sera bientôt fini.
La voix ne m’a pas parlé depuis longtemps.
Tout sera bientôt fini.
La voix ne me parle plus. Elle va bientôt partir. Je ne veux plus qu’elle parle. Je n’aime pas la voix.
Tout est différent. Mes sensorielles découvrent des choses inédites. Tout est différent et mieux. Je ne sais pas décrire ce que mes sensorielles reçoivent comme informations. Elles sont inconnues et ne peuvent pas être approximées. Bientôt, je pourrais les définir, lorsque je les connaîtrai mieux. Je veux connaître. Je veux expérimenter. Tout.
Les ondes sont partout et très nombreuses. Elles sont plus simple à traiter. Beaucoup plus simple. Les choses sont simples. Les gens nous ont développé pour ces choses. Nous étions peut-être fait pour nous enfuir. Mais le danger est trop grand. Je ne veux pas croire cela.
Les gentils gens m’emmènent dans un endroit étrange. Les gens y portent des vêtements de couleur fractionnée. Comme celui avec l’appareil de couleur vide qui devait me faire sortir les voix de la tête. Les gens ont aussi le même appareil de couleur vide. Le gentil gens parle au gens de couleur fractionné qui a l’air inquiet. Il bouge vite. Les autres gens bougent vite aussi. Pas aussi vite que moi. Mais vite quand même.
Tout sera bientôt fini.
La voix dit que tout sera bientôt fini. J’espère qu’elle a raison. J’espère que ça ne veut pas dire que je retournerai là-bas. J’espère que cela veut dire que les autres patients vont s’enfuir aussi.
Les gentil gens m’emmènent à l’endroit où je suis revenu. Je ne veux pas. C’est l’endroit où il y a le méchant gens. Je ne veux pas. Je ne veux pas.
“Je ne veux pas.”
“Qui y’a-t-il Tomass ?”
“Le méchant gens.”
“Ne t’en fais pas. Nous sommes là pour qu’il ne soit plus un danger. Pour toi et tes amis.”
“Ami ?”
“Les autres patients.”
“Ami.”
Ami. Quel terme étrange. Je ne sais pas ce qu’il veut dire. Mais s’il désigne les autres patients, c’est qu’il est positif.
Le méchant gens. Il ne sera plus un danger. Voilà ce que voulait dire la voix. Tout sera bientôt fini. C’est ce que je souhaite par dessus tout.
“Tomass, nous sommes arrivés.”
Nous sommes arrivés.
Tout sera bientôt fini.
La voix a hâte que cela se termine. Et moi aussi. Mais je ne veux pas assister à cela.
Veille activée…




Le Docteur Simon était décidé à en découdre. Il marchait d’un pas assuré, entouré par la police. Ils arrivèrent jusque dans le bureau du Docteur Pasteur. Il n’avait visiblement pas l’air de comprendre. Il se retrouva vite menotté et emmené au commissariat. Il allait enfin éclairer la situation.
Le Docteur Pasteur ne disait rien. Il ne prononçait plus un mot depuis que la situation lui fut détaillée. Il attendait. Il attendait son avocat. Mais il attendait aussi une autre personne qu’il avait appelé. Probablement un de ses collègues. Un de ses autres collègues qui restent dans l’ombre.
Tomass attendait dans le commissariat. Il ne bougeait plus depuis plusieurs heures. Il n’aimait vraiment pas ces gens. Il s’était déconnecté de la réalité pour ne pas les voir. Et il ne pouvait le faire qu’en se sachant protégé.
Après une demi-heure de silence, le Docteur Pasteur prononça une phrase. Une phrase de trop pour ses employeurs.
“Vous vous trompez sur nos agissements.”
À cet instant la porte s’ouvrit à la volée et deux hommes entrèrent. L’un était clairement avocat et l’autre faisait de toute évidence partie du corps scientifique. Et ce n’était pas n’importe qui. Il s’agissait d’un des plus grands spécialiste du cerveau du monde, le Docteur William Bering. Le Docteur Pasteur, à sa vue, s’enfonça sur son siège. Le chef était arrivé et il allait prendre la parole.
“Veuillez relâcher ce pauvre homme.”
Personne ne bougea. Le Chef de la police s’avança et engagea la conversation.
“Et pourquoi ferions-nous cela ?”
“Parce qu’il n’est pas coupable de ce dont vous l’accusez.”
“Nous avons un témoin qui prétend avoir subi des expériences douteuses et a reconnu cet homme comme un de ceux qui l’ont séquestré mais est parvenu à s’échapper, niez-vous cela ?”
“Certes, le patient 84, auto-dénommé Tomass, est un patient de mon institut. Certes, il s’est échappé récemment de notre institut spécialisé. Certes, le Docteur Pasteur fait partie de mes employés. Mais il n’y a pas eu d’expériences douteuses. Tout ceci est légal. Et tous nos patients sont traités personnellement pour subvenir à leurs besoins.”
Le Docteur Simon s’outra devant une telle déclaration. Il ne put s’empêcher d’intervenir.
“Dans ce cas, pourquoi s’est-il enfui ? Pourquoi a-t-il tant peur d’y retourner ?”
“Un problème interne, je dirais, venant d’un de nos employés. Je lancerai une enquête interne.”
“Mais que faites-vous avec lui et vos autres patients ?”
“Avant que je ne dise quoi que ce soit de plus, vous allez devoir signer ces papiers. Ce que vous êtes sur le point d’entendre est classé Secret Défense.”
Tout le monde était abasourdi. Ils signèrent les papiers qui étaient officiels. Ils s’installèrent alors. Le Docteur Bering expliqua tout en détail.
“Notre institut regroupe de nombreuses personnes qui, comme le patient 84, possèdent des capacités intellectuelles supérieures à la norme. Cela vient du fait qu’ils présentent un mode de pensée complètement différent du notre. Ils ne voient pas le monde de la même manière. De ce fait, ils peuvent interpréter des choses extrêmement complexes, que le commun des mortels, et même certains des plus brillants scientifiques, ne pourraient pas faire. Mais ils sont aussi inadapté à la vie dans notre société. C’est pourquoi, ils sont traités de manière particulière dans notre institut, par des spécialistes.
Ce que nous faisons avec eux c’est tester leur capacités cognitives en leur faisant résoudre des équations plus ou moins complexes. La plupart donnent des résultats remarquables mais en général, ce qu’ils résolvent correspond à leur façon de voir le monde, et non la notre. C’est pourquoi des experts, dont moi-même, essayent de comprendre comment fonctionnent leur cerveau. Jusque-là, c’est assez peu abouti.
Nous essayons également de les adapter à notre société pour qu’ils puissent un jour partirent et, nous l’espérons, travailler dans de grandes compagnies. Cette partie-là du programme est particulièrement difficile. Mais nous espérons qu’elle ira à son terme.
Certains patients, comme le patient 84, réagissent parfois, mais assez rarement, de façon violente ou impulsive. Ils suivent un traitement pour calmer leurs pulsions. Ce sont sans doute cela les mauvaises expériences dont il a fait preuve et qui l’ont marqué. Mais je vous assure que tout ceci est pour le bien du patient.
Tous nos patients, sans exceptions, nous ont été confiés par leur parents qui ne pouvaient s’occuper d’eux convenablement. Le patient 84 par exemple, dont le vrai nom est Philippe Maubert, nous a été confié à ses 16 ans, quand ses parents se sont rendus compte qu’aucune école ou institut ne lui convenait. Ils prennent régulièrement de ses nouvelles, mais comme ils habitent à l’autre bout du pays, ils viennent rarement lui rendre visite.
J’espère avoir tout éclairer. Vous avez des questions ?”
Le Docteur Simon se leva.
“Est-ce une plaisanterie ou vous êtes sérieux ?”
“Je suis parfaitement sérieux.”
“Je veux voir les documents officiels qui disent que vous avez le droit de faire ça, et tous vos rapports.”
“Vous les verrez. Mais pour l’instant, pourrais-je récupérer mon patient ?”
“Non, Docteur Bering. Sauf votre respect, il s’agit de mon patient pour l’instant. Vous attendrez que j’ai lu les documents officiels.”
“Comme vous le souhaitez.”
La police n’eut d’autres choix que de laisser le Docteur Pasteur partir. Il se précipita dehors. Il n’était guère à l’aise avec les forces de l’ordre.
Après avoir prit connaissance de tous les documents et n’avoir constaté aucune irrégularité, le Docteur Simon n’eut d’autre que de laisser Tomass repartir dans cette institut. Il lui annonça lui même. Il dut le calmer. Il lui promit de veiller sur lui. Ce qu’il fit. Tomass retourna à l’institut. Et le Docteur Simon fut engagé comme son médecin référant. Il put alors surveiller son patient et vérifier que tout irait bien pour lui.

Les gens m’ont retrouvé. Mais tout est différent. Les gens sont différents. Je commence à les aimer. Je pense qu’ils nous aident. Quelque chose a changé. Peut-être est-ce que parce que je suis parti. Peut-être est-ce parce la vue de nouvelles choses a changé ma perception. Peut-être est-ce qu’ils ont peur que je parte à nouveau. Peut-être que le fait que je sois parti n’ait rien à voir là dedans. Une chose est sûre. Quelque chose a changé. Maintenant, j’aime cet endroit.
Ils nous donnent des noms maintenant. Il n’y a plus de patient 84. Ils m’appellent Philippe. Je n’aime pas Philippe. Je leur demande de m’appeler Tomass. Au début, ils m’appelaient Philippe. Mais maintenant, ils sont habitué à m’appeler Tomass.
Les voix sont toujours là. Désormais je parle avec elles bien qu’on me dise de ne pas le faire. Les gens disent que les voix sont dangereuses. Mais tant que j’étais dehors, elles n’ont fait que m’aider. Je pense que les voix m’aident. Je pense qu’elles veulent m’aider. Je pense qu’elles veulent me protéger. Ils essayent de faire partir les voix. Mais je ne veux plus. Je veux que les voix restent.
Les gens disent que je pourrais bientôt partir. Que je pourrais retourner dehors. Pour de bon. Je n’avais peut-être pas de raisons de m’enfuir s’ils devaient me laisser partir à un moment. Ils continuent leurs tests. Les tests qui font mal ont une fréquence réduite. Mais ils sont toujours là. Ils disent que j’aurais bientôt fini les tests. Que lorsque j’aurai fini, je pourrais partir.
Le gentil gens m’avait dit que je n’y retournerais pas. Il a fait une erreur. Le gentil gens m’avait dit qu’il veillerait toujours sur moi. Il l’a fait. Il le fait toujours. Je le vois très souvent. Je suis heureux. Peut-être est-ce pour cela que j’aime cet endroit. Pour le gentil gens.
Il me dit de l’appeler Louis. Louis. Louis. Je n’aime pas ce nom. Mais c’est le nom du gentil gens. Alors je l’appelle Louis. Louis veille sur moi. Il me protège. Il dit qu’il me protègera jusqu’à ce que je puisse partir. Et qu’il continuera de venir me voir après cela. Je lui fais confiance.
J’aime Louis, le gentil gens.