Encore un match. Un énième match. Je ne sais même plus quels sont les enjeux. Une finale de coupe. Un simple match d’exhibition. Tout ce que je sais, c’est que je vais m’en prendre plein la gueule. C’est inévitable. Et j’en ai marre. Surtout qu’il y a le Destructeur sur le terrain. Une énorme brute qui s’occupe plus de faire le maximum de dégâts plutôt que de gagner le match. Il n’épargne rien, ni personne. Pas même le matériel. Oui, je sens que ce match va faire mal. Mais, après tout, c’est la routine d’une boufballe.
J’ai joué plus de match que les meilleurs joueurs. J’ai marqué plus de points que les meilleurs attaquants. J’ai pris plus de coups que les meilleurs défenseurs. J’ai résisté à plus d’assauts que les plus robustes bloqueurs. Et je n’ai été rafistolé que quelques centaines de fois. Ces réparateurs de matériel font des merveilles. Et heureusement, sinon, bon nombre des nôtres se retrouveraient abandonnées, délaissées. Et tout le monde sait que c’est la peur de chacune d’entre nous de se retrouver dans un placard sombre et d’y rester à jamais.
Ah ! Tiens, le match a déjà commencé. À parler, je ne m’en étais même pas rendu compte. Un joueur de l’équipe en orange, je crois qu’il s’agit des Wogew Wabbits, me tient. Il s’apprête à passer. Il me tient bien, sans trop me brutaliser. Aïe ! J’ai rien dit. Il vient de m’écraser entre ses mains. Ces joueurs n’ont plus aucun respect pour les boufballes.
Enfin, il me lance. Je vole. Je vole. C’est merveilleux. Et je… Oh ! Non. Je vais encore m’écraser contre le visage d’une de ces grosses brutes. Je le vois venir et… Aïe ! Voilà. Je m’y attendais. Par contre je crois que je lui ai cassé une dent. Je suis plutôt fière de moi pour ça. Rien n’arrête une boufballe. Surtout entre les mains d’un excellent joueur. Sans une boufballe, le Boufbowl ne serait rien.
L’avantage, c’est qu’on est au centre de l’action. C’est bien mieux que d’être dans les gradins et regarder la match de loin. C’est même mieux que d’être l’arbitre qui doit surveiller que les joueurs respectent bien les règles. Les règles ? Quelles règles ? Quand on est boufballe, on vit le match, au même titre que les joueurs. Bon, c’est vrai, on se prend plein de coup. Mais le jeu en vaut la chandelle.
Aïe ! J’avais oublié. Il y a un match en cours. Et d’ailleurs les Écrabouilleurs d’orteils viennent de marquer un point. En m’écrasant par terre, bien évidemment. Si j’avais un pronostic, je dirais que les Écrabouilleurs ont plus de chances de l’emporter. Mais je souhaite que ce soit l’équipe des Wogew Wabbits qui l’emporte. Pourquoi ? Et bien parce qu’ils nous traitent bien ! Enfin… de temps en temps.
Avec mon expérience de jeu, ma présence sur le terrain et mon point de vue unique, je pense que je pourrais faire un très bon commentateur. En tout cas, bien meilleur que Jactance. C’est bien beau d’inventer des mots qui ne veulent rien dire, mais ça ne sert à rien. Quoique le public n’a pas l’air de s’en plaindre. Il a même l’air d’aimer ça. Je les comprendrai jamais. Mais après tout, je ne suis qu’une boufballe.
Contre-attaque des Wogew Wabbits. Leur capitaine fonce en avant, esquivant tout le monde. Il est impressionnant de rapidité. Mais juste devant, il y a le Destructeur. Ils vont se percuter. Je sens que je vais encore morfler. Être pris en sandwich, ça fait particulièrement mal. Ah bah non ! Il me lance en l’air. Et c’est très bien joué. Je n’avais pas vu que son coéquipier avait sauté aussi haut. Il me récupère sans aucun problème. Par contre, la chute va être brutale. Il essaye de marquer dans sa chute. S’il y arrive, ce sera une action extraordinaire. Je vois le sol arriver de plus en plus vite. Je veux pas voir ça. Aouch ! Il y est arrivé. J’ai jamais eu aussi mal. J’ai l’impression d’avoir tous les os brisés… Mais c’est qu’une impression, je n’ai pas d’os.
Maintenant qu’il y a égalité, le match va devenir très intéressant. Chaque équipe veut la victoire et va tout faire pour l’obtenir. C’est ça le Boufbowl, et c’est ce que j’aime dans ce sport. Les prochaines actions seront décisives. Le match va prendre une tout autre dimension. Un vrai spectacle.
Allez. Vas-y. Tu peux le faire. Tu vas y arriver. Encore un peu. Attention ! Sur ta gauche. Oui, c’est bien, tu l’as évité. Tu y es presque. Oui. Il a marqué. Hourra ! T’es le meilleur. Et… Oh ! Pardon. Je vous avais oublié. C’est presque la fin du match et je suis concentré sur ce qu’il se passe. Désolé si je parle plus beaucoup. Les Wogew Wabbits ont marqué. Ils sont en bonne voie de gagner ce superbe match.
Plus que quelques instants. L’arbitre regarde le temps qu’il reste. Les Wogew Wabbits mènent. Mais les Écrabouilleurs d’orteils ont lancé une attaque. Il y a des chocs dans tous les sens. Heureusement, pour l’instant, je ne suis pas au casse-pipe. Mon porteur attend que le terrain soit dégagé. Mais c’est le Destructeur. Je comprend mieux pourquoi je me sentais autant écrasé. Plutôt inconfortable d’être une boufballe entre les mains du Destructeur.
La plupart des joueurs sont au tapis. Le Destructeur fonce. Il n’a plus personne pour le retenir, mais il va manquer de temps. Et au moment où il passe à côté du capitaine de l’équipe adverse, à terre, ce dernier tend au dernier moment sa jambe. Et un croche-patte pour la brute, un. Il s’étale par terre et me lâche. L’arbitre siffle la fin du match. Mon calvaire est terminé… pour l’instant.
Les supporters exultent. Les joueurs victorieux font de même. Tout le monde est heureux. Même si je vais retourner dans un placard, j’ai vécu un match grandiose. Et je vais retrouver d’autres boufballes. C’est tout ça qui me fait aimer être boufballe. Vive les Wogew Wabbits ! Vive les supporters ! Vive nous, les boufballes ! Et surtout, vive le Boufbowl !