Le chemin de brume

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Henry Foguart était perdu. Il était tout seul. Dans un endroit particulièrement sombre. Et brumeux. Il était assis au milieu d’une plate-forme. Pas très large. Et il n’y avait rien d’autre. Juste la plate-forme et lui. Il se leva et s’approcha du bord. Il n’y avait que du vide en bas. Étrangement, la plate-forme semblait suspendue dans les airs. Elle n’était rattachée à rien. Pas de piliers, pas de câbles. Rien du tout.
Henry se croyait dans un rêve. Rien de tout ce qui l’entourait n’était logique. Et puis, il ne savait pas comment il était arrivé là. La dernière chose dont il se souvenait c’était de s’être couché après une journée de travail. Il s’était installé dans son lit puis plus rien. Pas même un rêve. Peut-être était-ce là, le rêve. Ou le cauchemar. Cela y ressemblait en tout cas. Car cet endroit n’avait rien de réel.

Henry était là depuis des heures maintenant. Il ne pouvait aller nulle part. Alors pour ne pas que la solitude le torture, il pensait. À tout et n’importe quoi. Tout ce qui pourrait le distraire. Il pensait à son travail d’avocat, à ses soirées au bar avec ses amis, aux émissions à la télé, à sa femme…
La tristesse envahit l’avocat. Quel horrible cauchemar. Devoir rester seul avec ses pensées. C’est un cauchemar pour toute personne avec un passé. Et toute personne a un passé.
Alors qu’il luttait pour que ses sentiments ne prennent pas le contrôle, un passage se dévoila sur le bord de la plate-forme. Il s’agissait d’une espèce de passerelle. Un chemin fait de brume et qui s’éloignait dans l’obscurité. L’issue n’était guère engageante, mais c’était la seule.
Henry s’avança jusqu’au bord de la plate-forme, au pied du chemin de brume. Il avait peur. Peur de traverser. Pas uniquement parce que le passage était fait de brume, mais parce qu’il ne savait pas ce qu’il y avait de l’autre côté. L’inconnu lui faisait peur. Mais il ne voulait pas rester ici. Il se décida à traverser et ne fut qu’à peine étonné de voir qu’il pouvait reposer de tout son poids sur ce chemin de brume.
C’est lorsqu’il posa le pied sur ce chemin qu’il remarqua qu’il ne portait pas de chaussure. Il était pied nu. Il ne l’avait pas remarqué avant car il n’avait rien senti. Mais lorsqu’il s’appuya sur la brume, il sentit son sang se glacer. Un froid étrange parcourut tout son corps. Cela le foudroyait de l’intérieur.
Henry s’avança sur le chemin, dans l’obscurité. Il voulait se dépêcher mais craignait que la brume qui le retenait ne disparaisse. Il finit par atteindre dans ce qui semblait être une porte faite de vide. Il prit une profonde inspiration avant de s’y engouffrer, l’estomac serré.

Henry Foguart ne ressentait plus le froid. Bien au contraire, il sentait les rayons du soleil contre son visage. Mais il n’était pas chez lui, dans son lit, en train de se réveiller. Il se trouvait dans un parc. Avec de l’herbe à perte de vue. Quelques arbres. De la nature. Beaucoup plus chaleureux que le chemin de brume. Et la sensation de l’herbe sous ses pieds. Que c’est agréable !
“Excuse-moi monsieur.”
Une petite fille avec des couettes blondes tirait sur la manche de son costume. Elle semblait paniquée. Mais elle semblait surtout familière.
“Qu’est-ce qu’il y a, ma petite ?”
“Tu aurais pas vu mon chien ? Il s’est enfui.”
“Non, ma petite, je ne l’ai pas vu.”
“Tu peux m’aider à le retrouver, s’il te plait ?”
“Désolé, je ne… n’ai pas le temps. Je dois… enfin… Je…”
“Oh ! D’accord ! J’ai compris.”
Le visage plein de larmes de la petite fille attrista Henry. Cette dernière s’éloigna et lorsqu’elle fut pratiquement hors de vue…
“Petite, attends.”
La petite fille se retourna. Il remarqua la laisse qu’elle tenait dans sa main.
“Je vais t’aider à retrouver ton chien.”
La petite sourit et courut vers l’avocat pour le remercier.
“Merci monsieur. Tu es très gentil. Comme mon papa. Et tu as les mêmes cheveux blonds que lui.”
“Oh ! Merci. Comment s’appelle ton chien ?”
“Rex. C’est un labrador.”
“Ce n’est pas très original.”
“C’est mon papa qui l’a appelé comme ça.”
“Allons chercher Rex.”
Henry attrapa la main de la petite fille et tous les deux partirent pour retrouver le chien perdu.

Tous ces événements étaient de plus en plus étranges. De plus que Henry avait l’impression de les avoir déjà vécu. La petite fille, le chien disparu, le parc. Mais il ressentait le besoin de continuer. D’aider la petite fille.
La recherche se poursuivit jusqu’à un arbre isolé où l’avocat blondinet put apercevoir, jonché sur le sol, une masse blanche. Peut-être l’animal disparu. Pas, peut-être. Il s’agissait du chien. Il le savait. Il ignorait comment il le savait. Mais il se rappelait. Tout cela s’était déjà produit.
Henry avait déjà été dans ce parc, attendant sa femme. Il avait déjà aidé la petite fille durant de nombreuses minutes qui lui parurent interminables. Il avait déjà retrouvé le chien. Le chien. Il y avait quelque chose avec le chien. Il se souvenait. Les souvenirs revenaient du fond de sa mémoire. Le chien, avec son pelage blanc… et rouge. Blessé à mort. Mais la petite fille ne comprit pas. Elle s’approcha de son chien. Elle lui remit la laisse. Et quand elle remarqua qu’il ne bougeait toujours pas, elle eut une réaction innocente.
“Il doit dormir. Je vais attendre à côté qu’il se réveille.”
Des mots innocents. Mais qui choquèrent Henry. Toute la scène le choqua.
“Il doit dormir. Je vais attendre à côté qu’il se réveille.”
C’était malsain. Henry prit peur.
“Il doit dormir. Je vais attendre à côté qu’il se réveille.”
Il voulait s’éloigner le plus possible de cette petite fille et de son chien mort.
“Il doit dormir. Je vais attendre à côté qu’il se réveille.”
Mais c’était trop tard. Les deux étaient gravés dans son esprit.
Il doit dormir. Je vais attendre à côté qu’il se réveille.
Avec cette phrase qui le hante et le réveille la nuit.
Mais il pouvait changer les choses, bien que tout ça ne soit pas réel. Faire ce qu’il aurait dû faire. Il savait exactement ce qu’il aurait dû faire. Il aurait dû le faire la première fois. Mais il espérait que s’il le faisait cette fois là, cette scène arrêterait de le hanter.
Ils se rapprochaient du labrador. La petite fille n’a pas encore aperçu la forme du cadavre de son animal de compagnie. Alors Henry s’arrêta. Et la petite fille s’arrêta également.
“Pourquoi on s’arrête ? Il faut retrouver Rex.”
“Ton chien est surement parti loin maintenant. Il y a peu de chances qu’on le retrouve. Maintenant, il faut retrouver tes parents. Sais-tu où ils sont ?”
La petite fille acquiesça. Elle pointa du doigt la direction opposé au chien.
“Très bien, allons-y. Ils doivent aussi s’inquiéter pour toi.”
Henry emmena la petite fille vers ses parents. Mais alors qu’ils marchaient, l’avocat se rendit compte la main de la petite lui échappait. Elle devenait brume. Et l’enfant tout entière devint brume. Et l’immense parc dans lequel ils se trouvaient n’était plus qu’une plate-forme recouverte d’herbe, à peine plus grande que la première. Le soleil avait disparu et l’obscurité était revenu. Un nouveau chemin de brume était apparu.

Henry emprunta à nouveau le chemin mais lorsqu’il posa le pied sur la brume, la douleur qu’il ressentit était bien plus fort que la fois précédente. Il ne voulait pas continuer, mais il continuait tout de même. Comme si une force en lui le contrôlait pour aller de l’avant. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer et il le savait. Et puis, cela valait mieux que de rester dans l’obscurité.
Plus il avançait et plus il remarquait que la brume, qui avait une couleur bleutée auparavant, prenait une teinte grise. Et la sensation était différente aussi. Il avait l’impression de marcher sur un sol granuleux. Il regarda à ses pieds et plus de brume. Mais du bitume. Qui s’étendait de chaque côté.
Henry se retrouvait en ville. Il ne s’était quasiment pas déplacé. Mais pourtant il se trouvait à un tout autre endroit. Il était toujours pieds nus, toujours avec les mêmes vêtements. Mais le décor était complètement différent. Rien à voir avec… il ne se souvenait plus d’où il était il y a quelques minutes de là. Et cela l’inquiétait.
Il ne réalisait pas où il se trouvait. Il n’en prenait conscience que peu à peu. Il était sur un trottoir. Au bord du trottoir. Les voitures filaient devant lui. Il sentait le souffle provoqué par la vitesse de chaque véhicule. Il s’étouffait avec les gaz d’échappement. Il s’assourdissait avec la cacophonie de tout ce qui l’entourait. Pas seulement les voitures, mais également les passants. La foule qui abondait dans la rue en était presque effrayante.
Après n’avoir rien ressentit dans le vide qui précédait cet endroit, il essayait de tout ressentir. Mais cela l’éprouvait, l’assommait. Il y en avait trop. Alors il se calma et laissa les choses se dérouler. Il observa les éléments du décor petit à petit, pensant qu’un d’eux était peut-être pour lui. Il voyait un petit stand de sandwichs, quelqu’un assis sur une chaise et qui attendait contre un mur, une voiture avec un problème mécanique, deux personnes en train de se disputer, une jeune femme faisant tomber sa monnaie.
Rien ne l’incitait à agir. Alors il attendit.
Henry ne se concentrait plus sur rien. Il laissait son esprit divaguer. Debout au bord du trottoir. Rien ne pouvait l’atteindre. Il pensait qu’il devait profiter de ce moment. Alors il profitait. Le vacarme environnant disparaissait. Il était tout seul. Il prit soudain conscience d’une chose et tout le bruit l’entourait à nouveau. Il ouvrit les yeux.
Il s’attarda sur les deux personnes en train de se disputer, de l’autre côté de la route. Il ne savait pas de quoi il s’agissait. Il pouvait les aider mais pour cela il devait savoir comment. Alors il les observa. Les voitures défilaient devant lui avec la scène en arrière-plan. Au bout d’un moment, il oublia la circulation. Et il ne se rendit même pas compte qu’il s’était retrouvé de l’autre côté de la route. Qu’il avait traversé la route en un instant. Il se trouvait juste à côté des deux hommes.
Henry se sentit obligé d’intervenir :
“Excusez-moi, pouvez-vous me dire ce qu’il se passe ?”
“Ce qu’il se passe c’est que cet abruti m’est rentré dedans. Et il dit que c’est de ma faute.”
“Un peu que c’est ta faute, vu comment tu as pilé.”
“Y’avait un gamin qui s’apprêtait à traverser. Et si tu n’avais pas autant collé, ce serait jamais arrivé.”
“C’est n’importe quoi. Je roulais à bonne distance.”
“Si c’était le cas tu m’aurais pas rentré dedans.”
Henry reprit la parole.
“Je vois, calmez-vous. Inutile d’envenimer les choses. Ce genre de problèmes se règlent au tribunal.”
“Vous êtes juge ?”
“Avocat.”
“Ça tombe bien, j’ai besoin d’un avocat. Parce que quelqu’un m’est rentré dedans et ne veut pas payer les réparations.”
“C’est pas ma faute. Je vais pas payer pour ça.”
“Calmez-vous. Et je ne m’occupe pas de ce genre de cas.”
“J’ai compris, je vais aller trouver un avocat moi-même. Et toi là, j’ai ton numéro d’immatriculation, j’ai ton nom. On se reverra.”
Le conducteur énervé se dirigea vers sa voiture pour reprendre la route. Henry eut alors une étrange sensation, la même que précédemment. Il avait déjà vécu tout cela. Le conducteur furieux. L’autre proférant des insultes. Le semi-remorque qui arrivait à toute vitesse. Les dernières paroles « de toute façon ce monde est pourr… ». Le corps qui vola sous la force de l’impact. Les questions de la police. Le témoignage de Henry au tribunal. Les médicaments qu’il a du prendre pour dormir le soir. Le semi-remorque ?
Henry devait faire vite. Il devait le retenir. Mais comment ?
“Attendez. Je crois pouvoir vous aider.”
Le conducteur s’arrêta. Il se retourna. Le semi-remorque passa très près et le souffle le projeta quelque peu.
“Le malade, il aurait pu écraser quelqu’un.”
Il ne croyait pas si bien dire.
“Comment vous pouvez m’aider ?”
“Passez à mon cabinet. Je ne m’occupe pas de ça mais je crois connaître quelqu’un qui pourrait.”
“Merci, vous me sauvez la vie.”
Il ne croyait pas si bien dire.
“De rien. C’est un plaisir.”
“Si j’étais parti, furieux comme j’étais, il y aurait surement eu une tragédie.”
Il ne croyait pas si bien dire.
“Faites attention ! Sur le retour.”
“Merci à vous, et à bientôt !”
Henry fut soulagé en le voyant rentrer dans sa voiture et partir tranquillement dans la circulation tandis que l’autre conducteur s’énervait tout seul en maudissant le monde. Il était heureux d’avoir pu venir en aide à quelqu’un. Il souriait et fermait les yeux. Il cria de joie. Mais lorsqu’il rouvrit les yeux, il était ailleurs.
Il était de retour sur la plate-forme, cette fois tapissée de béton. Ses pieds lui faisaient mal. Ils étaient écorchés. Il s’assit pour les laisser se reposer. Mais alors qu’il essayait de contrôler la douleur, un nouveau chemin de brume apparut.

Henry voulait sortir de cet endroit le plus vite possible. Aussi, il se précipita vers le chemin. Il remarqua alors que le brume avait une couleur verdâtre. Quand il posa le pied dessus, il sentit sa chair bruler. Il voulut crier mais se retint. Il intériorisa la douleur. Il avança pas à pas, tant la douleur était insupportable. Il en grimaçait. Il voulait à tout prix que la douleur parte.
“…audra la jouer serrer. Pour l’instant c’est mal barré. La seule solution, c’est celle que je t’ai énoncé. Tu en penses quoi ?”
Henry était dans la rue, un téléphone à la main. Il savait qu’il avait déjà vécu ça. Mais il ne savait pas quand. Il ne savait pas qui était au téléphone.
“Henry ? Tu es là ? Je t’entend plus.”
Il devait se souvenir vite. Ce devait surement être pour une affaire. Une affaire compliquée. Une affaire qui s’est mal déroulé.
“Je sais qu’avec cette manière, beaucoup de gens innocents vont tomber. Mais on mettra au tapis les plus gros pontes. Et c’est bien le plus important.”
Des gens innocents. Pour quelle affaire ? Il ne se souvenait pas.
“Bon, tu n’es pas contre, je vais le faire.”
Henry entendit un bruit. Peut-être le vent. Le bruit venait d’en haut. Il leva les yeux. Il vit quelqu’un tomber droit sur lui. Il put l’éviter au dernier moment. L’homme s’écrasa par terre. Il était resté impassible, le regard vide, durant sa chute. Henry l’examina. Il portait une costume et des chaussures de marques. Il était visiblement cadre. Mais personne ne semblait s’inquiéter pour celui qui venait de se suicider. Les passants passaient sans lui prêter attention.
Un nouveau bruit se fit entendre. Une autre personne était en train de chuter. Elle s’écrasa juste à côté de la première. Elle était vêtue de la même façon.
Il y eut un autre sifflement, puis un autre, puis un autre. Bientôt des dizaines de personnes étaient en chute libre avec pour seule destination le sol.
Henry pouvait empêcher ça. Mais il cherchait comment. Pourquoi cela arrivait ? Le téléphone. L’affaire. Ça ne pouvait être que ça. Il tenta le coup. Il prit son téléphone.
“Allo ?”
“Ah ! Bah enfin. Je me demandais ce que tu foutais. Qu’est-ce que tu foutais ? Tu es d’accord avec mon idée ?”
“Non, on va procéder à la loyale. Pas de magouille cette fois.”
“Mais je t’assure que c’est sans danger pour nous.”
Les corps continuaient de chuter.
“Non, on ne fera pas comme tu dis. Point final. C’est mon affaire, je la gère comme je l’entends.”
“C’est bon, pas la peine de s’énerver. Mais on fonce dans le mur.”
“On verra bien.”
Henry regarda dans le ciel. Il n’y avait plus personne.
“Je te dis à la prochaine Henry.”
L’interlocuteur raccrocha. Henry ne se souvenait toujours pas de quelle affaire il s’agissait, ni de qui l’aidait à ce moment-là. Tout ce qu’il savait c’est qu’il avait empêché une erreur d’être commise. Il avait peut-être sauvé des vies, ou peut-être était-ce beaucoup moins important que cela. Mais peu importait l’importance de son acte, il se sentait bien.
Il regardait autour et voyait la circulation. Il ne voulait pas partir de là. Mais petit à petit tout ce qui l’entourait devenait flou, brumeux. Le ciel s’assombrissait également. Le sol devenait rocailleux. Le vide l’entourait. Il était de retour sur la plate-forme. Mais elle était plus petite. Henry avait à peine la place de se déplacer. Et pas de chemin de brume. Il était seul.

Le temps passait. Il passait. Et passait encore. Henry prit le temps de penser, de réfléchir. De nombreuses pensées lui traversèrent l’esprit. Des regrets, des doutes. Il était perdu. À force de réflexion il ne savait plus où il était. Il était toujours sur cette étrange plate-forme flottante. Il donnerait n’importe quoi pour partir. Mais il n’avait rien sur lui. Si ce n’est… son portefeuille. Il ne l’avait pas précédemment. Il était sûr que ses poches étaient vides. Il feuilleta dedans. Il y avait ses papiers, de l’argent, des tickets de caisse, son dernier relevé de comptes et d’innombrables cartes de fidélité pour des restaurants dont il n’était allé manger qu’une seule fois.
Il eut envie de le balancer dans le vide. Mais il se retint. Il rangea son porte-feuille dans sa poche. Il ausculta ses pieds nus. Ils étaient sales et surtout ensanglantés à force de marcher sur les graviers, les cailloux, le goudron. Mais il ne souffrait pas. Il se sentait même très bien.
Il s’allongea de tout son long sur le sol dur. Un caillou se planta dans son dos. Il le retira et le jeta hors de la plate-forme. Il se reposa l’esprit et fit le vide. Il eut l’impression de s’endormir.
 
Henry se releva en sursaut. Il ne savait pas s’il s’était assoupi. Impossible de le dire quand rien n’indique le temps qui passe. Il reprit tranquillement ses esprits. Quelque chose clochait. Il regarda autour de lui. Lorsqu’il se rendit compte qu’il reposait sur de la brume, une douleur insoutenable le foudroya. Comme s’il fallait qu’il ait conscience de se trouver sur la brume.
Il avait peur. Peur de tomber. Bien qu’il n’ait eu aucun problème pour tenir dessus les fois précédentes.
Il tremblait. Il tentait de se relever en s’appuyant sur cet étrange brouillard. Il avait l’impression que ses bras n’allait plus le retenir et qu’il allait tomber dans le vide, le néant. Mais il n’en fut rien. Il parvint à se relever tant bien que mal. Il devait continuer à avancer.
Le sol de brume s’étendait à perte de vue. Elle avait une légèrement teinte rouge cette fois-ci. Henry ne savait pas quel chemin il devait emprunter. Aussi il prit une direction au hasard. Peut-être au Nord, ou à l’Est. Rien ne permettait de déterminer des points cardinaux. Il continua ainsi durant plusieurs minutes. Le décor ne changeait pas. Il avait l’impression de ne pas avancer. Il songea même au fait qu’il n’avançait pas en réalité. Qu’il avait juste l’illusion de se déplacer. Il devait vérifier ceci. Il se rappela alors son porte-feuille. Il le prit et le posa sur le sol. Mais cette idée n’eut pas l’effet escompté. Le porte-feuille passa à travers la brume et s’enfonça dans l’immensité des ténèbres se trouvant sous lui. Cela le terrifiait encore plus. Comment cela se faisait-il que lui puisse se tenir sur cette matière alors que son porte-feuille ne le pouvait pas. Ceci resta un mystère.
Henry continua dans la même direction. Du moins, il le pensait. Mais rien ne changeait. Il trouvait cela pénible. Il s’énerva alors et donna un violent coup de pied dans la brume. Celle-ci se déplaça. Ainsi que toute la brume autour de lui. Elle finit par l’envelopper totalement. Henry voyait rouge. Le rouge de la brume. Puis tout ceci s’estompa et le décor qu’il laissa place était beaucoup plus familier.

Henry était assis dans son salon. Il était confortablement installé. Il regardait la télé. Le programme ne l’intéressait mais il se détendait. Il avait eu une journée harassante. Il s’était énervé avec un de ses collègues sur un prétexte idiot. Il s’en rendait compte. Mais tout ceci était derrière lui. Mais il sentait que quelque chose n’allait pas.
L’avocat commença à regarder autour, pour trouver ce qui le gênait. Il vit sa femme au fourneau. Elle avait prévu de cuisiner sa spécialité. Elle le regarda à travers ses petites lunettes rondes et lui sourit. Il lui rendit son sourire. Mais quelque chose n’allait pas.
Il n’arrivait pas à trouver ce qui clochait. Tout était trop parfait. Trop net. Net. Comme pas assez flou. Pas assez brumeux. Il se rappela de ces chemins de brume qui l’avaient amené à revivre certains de ses souvenirs les plus profonds. Celui-ci en était un également. Il se souvenait de cette soirée. Mais pas de la manière dont elle se terminait. Il n’avait pas laisser la soirée suivre son cours pour s’en souvenir.
Il se leva et prépara la table pour le diner. À la grande surprise de sa femme.
“Et bien, mon chéri, tu mets la table ? Il y a une grande occasion que j’aurais oublié ?”
“Pas du tout, je voulais juste t’aider.”
“Merci, mais tu pouvais ne rien faire. Ça n’aurait pas été gênant.”
“J’insiste.”
Henry voulait tout faire correctement, vu qu’il avait une seconde chance. Même s’il ne savait pas ce qui allait poser problème. Une fois le plat prêt, le repas put commencer. C’est alors que commença la discussion rituelle sur la journée de chacun.
“Alors, mon chéri, ta journée ?”
“Je me suis pris la tête avec un collègue.”
“Qui ça ?”
“Tu l’as pas rencontré, c’est un nouveau.”
“Je vois.”
“Donc, ça m’a mis en rogne.”
“Rien d’autre ?”
“Rien d’autre. Et ta journée ?”
“Banale, comme tous les jours je…”
Le téléphone de Henry sonna. Il regarda de qui cela provenait mais ne décrocha pas. Sa femme était curieuse.
“Qui était-ce ?”
“Personne d’important. Continue.”
“J’aimerais savoir pourtant.”
“C’est pour le travail. J’ai pas répondu parce que je voulais garder la soirée pour nous deux.”
“C’était un collègue ou une collègue ?”
Henry avait toujours trouvé sa femme trop jalouse. À tort, car il n’était jamais allé voir ailleurs. Mais rien n’y faisait.
“C’était Sophie.”
“Je le savais.”
C’est ainsi que démarra une violente dispute au cours de laquelle des insultes furent proférées, des voix s’élevèrent de plus en plus. Henry, déjà énervé par sa journée, était à bout. C’est alors que sa femme dit la phrase de trop à ses yeux. Il ne put arrêter son geste.
Henry gifla sa femme. Ses lunettes volèrent contre le mur et se fissurèrent légèrement. Elle posa sa main contre sa joue.
Henry regretta son geste. Mais il ne pouvait plus revenir en arrière. Comme la fois précédente. Il s’était laissé emporté. Et il le regrettait amèrement.
Sa femme le regardait sans expression. Des larmes commençaient à se former. C’était la première fois qu’il la giflait. Elle était choquée. Elle n’eut qu’une parole avant de prendre le chemin de la porte.
“Je te déteste.”
Henry voulait être détesté. Il n’en revenait pas d’avoir agi comme cela. Ce n’était pas dans sa nature. C’est alors qu’il se souvint de ce qui allait se passer ensuite.

D’après ses souvenirs, sa femme sortit en furie après cette dispute. Elle était perdue. Elle vagabondait dans les rues tandis que Henry attendait son retour. Ou plutôt espérait son retour. Il était resté sur le canapé, les lunettes de sa femme entre ses mains. Il avait laissé échapper quelques larmes lui aussi. Et dans la fin de la soirée, sa femme n’étant toujours pas revenu, la police sonna. Sa femme était morte. Un échafaudage s’était écroulé sur elle. Elle n’avait probablement pas vu les panneaux de danger. Comment le pourrait-elle ? Elle n’avait plus ses lunettes. Et la culpabilité de la mort de sa femme resta gravé à jamais en lui.

Henry revint à la situation qu’il vivait. Il pouvait peut-être encore l’en empêcher. Sa femme venait juste de franchir le seuil de la porte. Il se précipita.
“Attends.”
La porte claqua. Henry l’ouvrit à la volée. Mais personne n’était derrière. Sa femme n’avait pas pu partir aussi loin. Elle n’était simplement plus là. C’était trop tard. Il avait échoué. Il voulait une nouvelle chance. Une dernière. Mais il n’en aurait pas. Il s’assit sur le canapé. Enfin, sur ce qu’il croyait être un canapé. Il s’agissait en fait d’un morceau de roche. Il regarda autour de lui. Il était de retour sur la plate-forme.

Henry fit le tour de la plate-forme. Il avait hâte d’en finir avec tout ceci. Mais pas de chemin de brume. Et ce rocher pour s’assoir. Ou s’allonger. Et la surface était plus grande. Ce n’était pas la même plate-forme. Il vit dans ceci un bon signe. Un signe que la fin était proche. Qu’il allait arrêter de revivre ces événements qu’il préférait oublier. Alors il fit ce qui fonctionna les fois précédentes. Il attendit.
Il attendit longtemps.
Très longtemps.
Il eut l’impression d’avoir attendu une journée entière. Il était exténué. Il n’en pouvait plus. Il s’allongea sur le rocher. Il voulait que ce moment s’arrête. Qu’il s’arrête à l’instant. Il craqua.
“Pourquoi ?”
Il regardait vers le ciel, en attente d’une quelconque réponse.
“Pourquoi vous me faites ça ?”
Le silence absolu. Sa voix n’avait même pas d’écho.
“C’est un punition ? Je suis punis pour mes erreurs ?”
Des larmes se formaient. Il ne pouvait plus les retenir.
“Laissez-moi partir.”
Le rythme de son cœur accélérait.
“J’en peux plus de cet endroit.”
Il se mit à genoux. Il suppliait.
“S’il-vous-plait.”
Rien ne se passe. Il désespérait. Il s’écroula de fatigue.

Quand Henry se réveilla il eut l’impression de sortir d’un rêve. Mais ce n’était qu’une impression. Il n’avait aucun souvenir d’un éventuel rêve. Il ne parvenait pas à l’expliquer. Il espérait ne plus être sur cette plate-forme rocheuse. Que tout ce qu’il avait vécu était le rêve. Hélas il n’en était rien. Il se trouvait toujours dans cet endroit particulièrement sombre et glauque.
Cependant quelque chose était différent. Le chemin était apparu. Il était en forme de cône et s’étendait jusqu’à l’horizon. Un chemin de brume blanche jusqu’à perte de vue. Il leva les yeux au ciel.
“Merci.”
Alors qu’il s’approcha du bord de la plate-forme, il eut un sentiment. Le sentiment que tout ceci allait bientôt se terminer. Qu’il en serait débarrassé. Il emprunta alors le chemin de brume, confiant.
Pour la première fois, le contact avec la brume n’était pas désagréable. Il ne souffrait pas. Mais il n’était pas pour autant agréable. Il était neutre. Cela le conforta dans l’idée que la fin était proche. La fin du chemin.
Il avança de quelques pas avant de sentir le sol trembler. Mais il se demandait comment de la brume pouvait trembler. Il fit volte-face. La plate-forme n’était plus là. Elle avait disparu alors qu’elle ne se trouvait qu’à quelques mètres de lui. Henry Foguart courut en direction de la plate-forme disparue. Il n’y avait rien. Juste la brume. Qui s’étendait désormais à tout le sol.
Il avança à nouveau de quelques pas. Le sol trembla de la même façon. Il regarda derrière une nouvelle fois et remarqua la brume qui disparaissait petit à petit. Il paniqua et courut immédiatement dans la direction opposée.
À mesure qu’il courait, il se rendait compte que la brume le rattrapait. Il ne pouvait y échapper. Mais il continua de courir. Il se devait de continuer de courir. De ne pas abandonner. C’est alors que la brume arriva à son niveau.
Le sol de brume se déroba sous ses pieds, ne laissant que le vide. Vide dans lequel il tomba instantanément. Il essaya de se retenir, mais il n’y avait rien. Strictement rien. Uniquement le vide. Il chutait.

Henry tombait. Mais il n’y avait pas de vent. Pas d’air. Il tombait dans le vide. Cette sensation l’angoissait. Il n’y avait plus aucune source de lumière. Le noir total. Cette sensation l’angoissait encore plus. Il était désemparé. Il pensait en avoir terminé, mais la pire épreuve avait commencé.
Soudain, une lumière. Très faible. Elle éclairait à peine. Mais était facilement discernable dans cette obscurité. La source se trouvait en dessous de Henry. Il fonçait droit dessus. Peut-être la sortie. Il l’espérait. Mais il craignait l’atterrissage.
La lumière était de plus en plus vive. Elle prenait plusieurs couleurs. De toutes les couleurs. Mais peu de couleurs vives. Henry essayait de distinguer des formes. En vain. Il était trop loin. Donc il attendit que l’image grossisse.
Une fois à une taille raisonnable, il l’observa attentivement. Dans le moindre détail. Il s’agissait du scène. Comme un tableau. Ou plutôt une photo. Avec en plein milieu un homme au crâne dégarni. On pouvait distinguer ses yeux bleus.
Henry eut une révélation. Il connaissait cet homme. Il connaissait cette scène. Il connaissait cette situation. Elle lui semblait proche. Tellement proche qu’il pouvait la toucher. Il se souvint de tout.
 
Henry Foguart se leva ce matin de bonne humeur. Il ne laissa pas le réveil lui hurler aux oreilles, il se réveilla et l’éteignit quelques minutes avant l’heure habituelle. Il se posa sur le bord du lit et réfléchit. Il regarda son réveil et sourit un instant. Il remit le réveil et attendit l’heure fatidique. Le réveil ne hurla pas mais chanta sa chanson préférée. Il avait changé quelques jours auparavant le bruit strident de cette horrible machine mais n’avait pas encore l’habitude de se faire réveiller en douceur.
Une fois que le réveil eut fini, il attrapa le cadre posé sur la table de chevet. Une photo de lui et de sa femme prise dans parc d’attraction. Du fait de la violence du manège, il avait tellement mal cadré qu’il n’apparaissait que la moitié du visage de chacun. Mais cette photo étant la seule de cette soirée mémorable, ils la gardèrent en souvenir. Henry eut un instant de nostalgie.
Le petit-déjeuner faillit se passer sans soucis. Le grille-pain qui avait tendance à ne pas griller assez s’était d’un coup mis à bruler le pain. L’avocat dut se résigner à prendre des biscottes trainant dans un placard.
Henry se prépara en vitesse. Douche, habillage, toilettage. Il fit tout ceci en un temps record. Il prit ensuite sa veste, une pomme dans le panier et ses clés dans la coupelle de l’entrée. Il était prêt à se rendre à son bureau.
Il prit son temps sur la route. Il arrivait à l’heure qu’il voulait. L’avantage d’être à la tête d’un cabinet d’avocat, d’être son propre patron. Il se gara sur sa place attitré. Dans l’entrée, il salua la réceptionniste qui le salua en retour. Il put enfin s’installer à son bureau où il posa ses affaires et disposa sa pomme comme chaque matin.
La matinée était calme. Pas de rendez-vous. Pas de nouveaux dossiers. Pas de fous furieux voulant la peau de quiconque. Il en profita pour revoir certains points de détails dans ses dossiers en cours. Il passa toute la matinée à effectuer cette tâche.
L’heure de la pause déjeuner arriva. Tout le monde sortit du bureau comme un seul homme. Henry, quant à lui, attendit que la cohue se calme et put ainsi partir tranquillement. Il se dirigea en ville où il se gara dans un coin qu’il savait peu fréquenté.
Il marcha une dizaine de minutes jusqu’à un snack. Un de ses préférés. Cela faisait longtemps qu’il ne s’y était pas rendu. Il prit son déjeuner, seul. Il profita de ce moment pour se perdre dans ses pensées. Il pouvait prendre le temps qu’il voulait, il ne retournait pas au travail l’après-midi. La raison de cet absentéisme était qu’il devait passer à la banque pour vérifier son coffre et parler avec son banquier, et il ne savait pas combien de temps tout ceci prendrait.
L’heure de son rendez-vous approchait. Il n’avait pas vu le temps passer. Il se croyait en avance mais se retrouvait au final en retard. Heureusement pour lui, la banque était toute proche. Il y arriva en courant.
La file d’attente était longue. Henry consulta sa montre toutes les vingt secondes. Il avait hâte d’en finir. Il regardait le décor. Il contemplait les colonnes marbrées, les dalles marbrées également. Il faisait ce qu’il pouvait pour que le temps lui paraisse moins long. Et un homme rentra.
Cette homme était habillé simplement. Il était affublé d’un chapeau tout simple. Un costume tout simple. Des chaussures toutes simples. Il était simple. Il se mit dans la file d’attente. Henry l’observa pendant quelques instants. Il remarqua vite que l’homme semblait nerveux.
L’homme étant hésitant. Il mettait un pas en dehors de la file, puis le remettait à sa place. Il sortit finalement de la file et passa devant tout le monde. Un agent de sécurité lui demanda gentiment de reprendre sa place et d’attendre son tour. Il fit alors demi-tour.
Sur le chemin du retour, l’homme était pensif. Il hésitait toujours. Cela se voyait dans son regard. Il se décida finalement. Il fit demi-tour une nouvelle fois et se rapprocha de l’agent de sécurité qui lui tournait désormais le dos. Il sortit quelque chose de sa poche. Une détonation se fit entendre.
Tout le monde cria. Tout le monde était surpris. Tout se baissa légèrement pour se protéger. Tous se tournèrent vers l’origine du bruit. L’homme au costume simple. Il tenait une arme. Pointée vers le garde. Ce dernier ne disait rien. Il chuta de tout son long dans un bruit sourd. Il était mort.
L’homme fit le tour de lui-même. Il regardait tous ceux qui étaient apeurés. Il était un peu perdu. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Il reprit vite ses esprits et se tourna vers la dame de l’accueil.
“Ceci est un braquage.”
Personne ne parlait. La peur les empêchait de bouger. Henry était effrayé. Il ne savait pas quoi faire.
“Je veux que tout le monde se mette face contre terre.”
Il était hésitant. Il se ressaisit à nouveau.
“Tout le monde à terre, maintenant.”
Sa voix était beaucoup plus assurée. Tout le monde s’exécuta. Sans exception.
“Si tout le monde fait ce que je dis, si personne ne joue au héros, il n’y aura pas de blessés.”
En regardant le garde à terre, Henry se dit qu’il n’avait déjà pas tenu sa promesse. Mais il préféra garder son commentaire pour lui.
“Je… je veux la caisse.”
Il s’adressait à l’hôtesse. Celle-ci eut du mal à lui répondre.
“N… n… nous ne gardons d’argent ici.”
“Alors que quelqu’un aille au coffre.”
Quelqu’un se porta volontaire. L’homme resta pour surveiller les clients et les employés de la banque encore présents. Il réfléchissait. Il ne pouvait surveiller tout le monde.
“Que tout le monde se mette contre le mur. Vite.”
Sa voix était toujours fébrile. Il s’approcha de Henry.
“Allez. Plus vite.”
Henry, se levant, lui donna un conseil.
“Vous n’êtes pas obligé de faire ça.”
À l’instant où cette phrase sortit de sa bouche, il la regretta.
“Vous ne savez rien de moi.”
Il ôta son chapeau. Henry put constater le crâne de l’homme était dégarni.
“Vous ne savez strictement rien de moi.”
Il commençait à s’énerver. Henry mettait ses mains devant lui pour se protéger.
“Pardonnez-moi, je ne voulais pas…”
“Vous ne pouvez pas savoir à quel point cette banque m’a foutu dans la merde.”
“Calmez-vous, s’il-vous-plait.”
Henry sentit son pouls s’accélérer. Jamais son cœur n’avait battu aussi fort. Il craignait pour sa vie. L’homme dégarni s’énerva encore plus.
“Faites des prêts, ils disaient. Faites des prêts, vous rembourserez plus tard. Ils m’ont sucé jusqu’à la moelle. Je suis venu récupérer mon du.”
“Calmez-vous, on peut régler ça. Je suis avocat. Je peux vous aider.”
“Quoi ?”
À ces mots, il devint écarlate. Il bouillait de rage.
“Comme cet avocat qui s’est juste contenté de me prendre mes derniers centimes en disant m’aider ?”
L’homme pointa son arme sur Henry. Celui-ci s’arrêta de respirer. Le temps sembla se figer un instant. Et ceci est le dernier souvenir de Henry Foguart.

Henry chutait toujours vers cette image tirée de son dernier souvenir. Il se souvenait de tout. Il redoutait. Il redoutait ce qui allait se passer. Mais c’était inéluctable. Il rentra en contact avec cette image.
Henry se retrouvait devant l’homme dégarni. Il eut à peine le temps de voir le doigt posé sur la détente bouger. Il n’entendit aucune détonation. Il mit ça sur le compte du choc. Cependant il sentit distinctement la balle rentrer dans sa cage thoracique, passer à travers un de ses poumons et ressortir de l’autre côté.
Henry regarda son torse. Une auréole rouge commença à se former. Il s’écroula à terre. Il n’avait plus la force de rester debout. Personne ne vint le voir. Chacun était trop apeuré pour lui venir en aide. Trop apeuré de se faire tuer également. Henry ne leur en voulait pas. Il aurait fait la même chose à leur place.
Cette réaction lui fit penser au chemin de brume. À ce qu’il y avait vécu. Il s’en souvenait très clairement. Mais il ne savait pas ce que cela signifiait. Toutes ces épreuves. Tous ces souvenirs revécus. En particulier celui de la mort de sa femme. Que se serait-il passé s’il ne l’avait pas giflé. Une seconde fois. S’il avait bien fait les choses. Se serait-il fait tiré dessus ? Toutes ses pensées s’entremêlaient dans sa tête tandis qu’il se vidait de son sang.
Henry mourut avec une pensée en tête.
Et s’il n’avait fait que du bien dans sa vie, serait-il mort en cet instant ?