Hôtel Boisdoré
La pluie tombait à verse. Mathieu Mirnin peinait à voir à travers le pare-brise même avec les essuie-glace fonctionnant à plein régime et la nuit n’arrangeait rien. Il ne pouvait voir que les arbres immédiatement à sa droite, des chênes pour la plupart, la route sombre qui continuait au loin et la voiture arrêtée quelques mètres plus loin sur le bas-côté, les warnings enclenchés. Mathieu tapotait en rythme sur le volant.
« Tu peux arrêter ? Ça commence à devenir stressant. »
Son frère, Norman, regardait au loin en disant cela. Mathieu s’arrêta sur le champ puis lança un regard à son frère. Norman avait organisé tout le voyage dans les moindres détails et il ne supportait pas que quelque chose ne se passe pas comme prévu. Mathieu jeta un regard sur la banquette arrière et vit le couple, paisible, endormi. Il s’agissait des deux meilleurs amis des deux frères. Mathieu ferma les yeux et écouta le bruit de la pluie percutant la carrosserie et les vitres de la voiture. Il s’apprêta à sortir quand il entendit la portière de la voiture en face s’ouvrir. Une jeune femme, brune, s’avançait. Il s’agissait de la petite sœur de Mathieu, Jennifer. Lorsqu’elle arriva à hauteur de la voiture de Mathieu, ce dernier ouvrit la fenêtre.
« Salut vous deux, dit-elle en faisant un signe de la main. Je vais faire court, je vais finir trempée jusqu’aux os. On a un problème mécanique et Charlie n’arrive pas à le régler »
Mathieu fit une grimace de mécontentement et Norman commençait déjà à réfléchir pour arranger la situation. Il ouvrit la boite à gant et en sortit une carte. Il pointa du doigt un endroit sur la carte et hocha la tête comme pour indiquer qu’il avait trouvé la solution.
« Il y a un hôtel plus loin sur la route, on va y séjourner pour la nuit, en espérant qu’il y aura assez de chambres pour nous tous. Tu as appelé un dépanneur ? »
« Pas de réseau. Mais comment on va faire pour rejoindre l’hôtel ? Y’a pas assez de places dans votre voiture. »
« On va se serrer, lança Mathieu en rigolant. »
Jennifer acquiesça et retourna vers sa voiture. Norman soupira. Le couple se réveilla et la situation leur fut expliquée. La petite sœur revint en courant mais arrivée à mi-chemin elle s’arrêta net, commençant à agiter les bras. Mathieu regarda dans son rétroviseur et vit des phares. Leur chance semblait avoir tourné. La voiture se gara sur la route, au niveau de Jennifer. La fenêtre s’ouvrit, laissant apparaitre une dame, assez âgée. Cette dernière leur proposa son aide. Jennifer ne mit pas un instant avant d’accepter, lui expliquant leurs problèmes. La vieille dame les invita à monter dans la voiture pour les conduire jusqu’à l’hôtel. Quelques minutes plus tard, Jennifer, Charlie et Aurélie, la troisième passagère de la voiture en panne, montèrent dans la voiture de la vieille dame, Jennifer montant à l’avant. Les deux véhicules se mirent en route, Mathieu suivant celui de la samaritaine.
La vieille dame se présenta comme étant la Duchesse Enide De Mirabeau, condition qui pouvait se laisser deviner de par la voiture de luxe couleur bordeaux qu’elle conduisait ou de par les vêtements qu’elle portait, probablement de la haute couture. Mis à part les questions de la Duchesse sur ce qui amenait des jeunes à se perdre dans un coin comme celui là le reste du trajet fut assez silencieux.
Pendant ce temps, Mathieu et Norman discutaient des conséquences du retard qu’ils prenaient sur le reste du voyage. Ils appelleraient un dépanneur le lendemain et si les réparations dureraient trop longtemps, ils trouveraient le moyen de louer une voiture. Mathieu pensait que tout irait mieux après une bonne nuit de sommeil. Norman alluma la radio. Une chanson d’Elvis Presley passait à ce moment. Norman était admiratif du King. Il connaissait presque toute son œuvre. Norman Mirnin ferma les yeux pour savourer la beauté de la musique. Mathieu, quant à lui, restait focalisé sur la route et sur la voiture devant lui. La pluie semblait ne pas vouloir finir. Il en était de même pour la forêt qui s’étendait de chaque côté. Il crut voir quelque chose en profondeur des bois, sûrement une biche.
Au bout de dix minutes ils arrivèrent devant l’hôtel. C’était un petit hôtel, rustique et accueillant, avec une petite enseigne, vieillie et partiellement effacée, indiquant le nom du lieu : Hôtel Boisdoré. Le bâtiment était dominée par la végétation. Les deux voitures se garèrent sur la place minuscule qui faisait office de parking. La forêt alentour rendait particulière l’ambiance. Mathieu remarqua que la pluie avait perdu en intensité. Il sortit de la voiture. Il remarqua de la lumière à certaines fenêtres. Il se considérait chanceux de trouver un hôtel si proche de l’endroit où ils étaient tombés en panne.
Jennifer entra avec la Duchesse. L’intérieur était en bois, très chaleureux. Pratiquement à l’entrée se trouvait un comptoir. Installée derrière, se tenait une femme d’un certain âge, lisant un livre aux pages jaunies par le temps. Elle avait vraisemblablement les doigts de sa main droite arthrosées. Le duchesse s’avança la première.
« Bonjour Barbara, la même chambre que d’habitude. »
La gérante de l’hôtel la regarda puis sourit. Elle se retourna pour prendre une clef et la donna à la Duchesse qui monta les escaliers au fond de la pièce. Jennifer fut étonnée. La vieille dame ne lui avait pas dit qu’elle connaissait les gérants de l’endroit où ils allaient logés. Après tout, elle avait très peu parlé. Après quelques instants de silence, alors que la gérante avait reprit sa lecture, Jennifer prit la parole.
« Bonjour, nous sommes tombés en panne un peu plus loin et on arrivait pas à joindre un dépanneur. On a vu que… »
La gérante l’arrêta d’un signe de main. Elle eut un petit rire.
« Pas besoin de me raconter votre vie. De quoi avez-vous besoin ? »
« Des chambres pour loger sept personnes, s’il vous plait. »
« J’ai quatre chambres deux places. Cela vous convient-il ? »
« C’est parfait. Et est-ce qu’on pourrait utiliser votre téléphone plus tard ? »
« Bien sur. »
Jennifer se précipita dehors et fit signe à tous ses compagnons de voyage qu’ils pouvaient rentrer. On pouvait sentir le soulagement de tout le monde.
Norman s’occupa du règlement tandis que les autres s’installèrent dans leurs chambres respectives qui n’étaient pas adjacentes et dont une n’était même pas située au même étage. La gérante annonça que le diner serait une heure plus tard. Chacun attendit alors, l’heure du repas, certains se reposant, les autres discutant.
La salle à manger était étonnamment grande. Il n’y avait qu’une seule table qui s’étendait en longueur. Les deux seules portes menaient à la cuisine et à la salle de détente où se trouvait une petite bibliothèque contenant de nombreux ouvrages. On pouvait voir, à travers les vitres, la forêt qui englobait l’hôtel.
Les sept amis étaient installés et la Duchesse De Mirabeau arriva peu après. La gérante leur servit très vite les plats préparés par son mari. Les clients remarquèrent la paralysie de son bras gauche. Au menu, il y avait des plats simples, des salades, du ragout. Mathieu trouvait le tout succulent. C’était l’avantage avec les petits hôtels comme cela.
Après le repas, tous trainèrent un peu pour discuter, même la Duchesse. Cette fois-ci elle fut plus loquace. La Duchesse Enide de Mirabeau était une vieille noble, riche, dont le titre ne servait qu’à impressionner. Elle possédait tout de même un château où elle vivait seule, du fait de la mort de son mari, quelques années auparavant, d’une longue maladie dégénérative. Elle confessa aimer voyager partout dans le monde cependant, du fait de son âge avancé, elle pouvait moins se déplacer qu’avant. Son mari avait un chauffeur mais elle préférait conduire elle-même. Elle avait rencontrée les propriétaires de l’Hôtel Boisdoré au cours d’un de ses séjours dix ans auparavant. Elle venait, depuis, régulièrement les voir. Elle possédait une connaissance historique incroyable qu’elle expliqua par sa bibliothèque remplie de livre anciens âgés de plusieurs centaines d’années qu’elle avait parcouru plusieurs fois. Ses nombreux voyages lui avaient fait rencontrer de nombreuses personnes appartenant à de nombreux peuples ce qui lui valu une grande ouverture d’esprit.
La Duchesse partit dans sa chambre après près d’une heure à parler. Les amis continuèrent un peu la discussion, mais la fatigue commençait à se faire sentir. Chacun se dirigea dans sa chambre. Ils s’arrangèrent pour se retrouver une heure plus tard dans le coin bibliothèque. Matthieu et son frère Norman prirent la même chambre, au premier étage, le couple constitué de leurs meilleurs amis, Samuel et Samantha, au même étage, Jennifer et Charlie étaient logés au second, tandis que la dernière, Sophia était seule au troisième étage.
Le couple était allongé sur le lit. Ils se remémoraient de nombreux souvenirs en attendant l’arrivée de Norman qui devait passer les voir. Ils se souvenaient des moments les plus marquants de leur vie et de leur amitié avec les deux frères.
Samuel et Samantha se connaissaient depuis leur enfance. Mais l’amour ne fut pas immédiat. Avant cela il y eut l’amitié, qui dura plusieurs années. Ce n’est que durant les années collège que les deux amis commencèrent à développer des sentiments l’un pour l’autre. Les premiers rendez-vous étaient désastreux, sûrement dû à leur jeune âge. Les suivants s’améliorèrent jusqu’à ce qu’ils se rendirent compte qu’ils étaient fait l’un pour l’autre. À ce moment-là, ils connaissaient déjà Norman. Ils n’étaient pas vraiment amis, ce n’était que des connaissances. Il fallut la loyauté légendaire de Norman pour que la relation qu’ils avaient à l’heure actuelle ne se formât. En effet, dans une salle de leur Lycée était souvent organisé par certains des parties de poker payantes. Cette pratique était bien évidemment interdite par le règlement. Norman avait réussi à se faire inviter à une de ces parties par Samuel. En s’y rendant, il s’était fait suivre par un surveillant. Il avait remarqué et avait eu le temps de prévenir Samuel sur son téléphone qui avait pu prévenir le reste des joueurs. Au final, lorsque Norman se retrouva à la salle de jeu, il était seul. Il ne pouvait cependant échapper au surveillant qui le questionna sur la personne qui l’avait intégré dans la partie. Il se tut, ne prononça aucun nom. Il écopa ainsi de nombreuses heures de retenue. Samuel présenta alors à Samantha Norman, le Sauveur des Tables de Poker.
Lorsque Mathieu arriva dans le groupe, l’intégration ne se passa pas parfaitement. En effet, au départ, Samantha supportait très mal le frère de Norman sans que personne ne comprenne jamais pourquoi surtout que Samuel pensait que les deux frères avaient le même caractère. Tout se débloqua après une soirée dans un bar. Une soirée bien arrosée. Ils fêtaient la fin des examens. La fête touchait à sa fin lorsqu’un camarade s’approcha de Samantha qui s’était un peu éloignée et commença à lui parler en lui faisant clairement comprendre l’intérêt qu’il lui portait. Mathieu remarqua la situation et intervint pour mettre au clair cette histoire. Le camarade s’énerva très vite et fit preuve d’une grande agressivité du au trop plein d’alcool. Il dirigea son poing en direction de Samantha. Mathieu eut le réflexe de s’interposer et se prit le poing mou de l’homme bourré dans le nez, ce qui le fit quand même vaciller. Samuel arriva très vite et plaqua l’étudiant ivre contre le mur. Le tout se régla tranquillement par la suite, une fois qu’ils firent jetés hors du bar. Ce fut à partir de ce moment que Samantha regarda d’un autre œil Mathieu.
Les quatre amis furent inséparables durant plusieurs années jusqu’à ce que leurs chemins les menèrent à différentes destinations. Les deux amants s’installèrent ensemble dans un appartement en ville. Norman trouva du travail dans une autre ville puis revint finalement sur ses terres natales. Mathieu resta mais fut prit par ses études. Ils arrivaient tout de même à se voir dès qu’ils le pouvaient et s’organisaient des sorties et des voyages à chaque occasion.
Samuel se leva et se dirigea vers la fenêtre.
« J’ai cru entendre du bruit. »
Il ouvrit la fenêtre et un courant d’air frais entra dans la pièce. Samantha frissonna. Samuel regarda au dehors, le plus loin possible dans la forêt mais ne vit rien ni personne. Samantha soupira.
« Il n’y a rien, tu vois bien. Reviens près de moi. »
Samuel regarda une dernière fois au dehors puis s’exécuta bien qu’étant sûr de ce qu’il avait entendu, laissant la fenêtre ouverte. Il oublia dans les secondes qui suivirent ce qu’il avait cru entendre. Allongé dans le lit, il regarda sa bien-aimée et l’embrassa passionnément.
Mathieu se trouvait dans la bibliothèque où il regardait les ouvrages présents en consultation. Il tomba sur des grands classiques comme les romans de Jules Verne, Lovecraft, et beaucoup de grande littérature. On pouvait trouver également quelques livres pour enfant. Mais ce qui attira l’attention de Mathieu furent les très vieux ouvrages, un peu poussiéreux, qui se trouvaient tout en haut de la bibliothèque. On pouvait deviner leur âge, et probablement leur rareté, avec la magnifique reliure qu’ils présentaient. Il n’y avait pas de titre dessus. Il se mit sur la pointe des pieds et essayant d’en attraper un.
« Intéressé par les lectures mystérieuses, inattendues, n’est-ce pas ? »
Mathieu sursauta et faillit tomber à la renverse. Il se croyait seul. En se retourna il remarqua un homme mûr assis sur un des fauteuils, un livre sur les genoux, des lunettes sur son nez. Il avait su rester discret.
« Ces livres ne sont pas si intéressants que ça. Je les ai lu, ce sont juste les mémoires d’un vieux fou qui ne savait pas quoi faire du reste de sa vie. De plus, cette œuvre est inachevée. La lecture est très rude, peu agréable. Je vous le déconseille. »
Intrigué, Mathieu s’installa dans le fauteuil en face de son interlocuteur et discuta longuement avec lui.
« Pourquoi êtes-vous là ? »
« Notre voiture est tombée en panne. C’était l’hôtel le plus proche que nous pouvions trouver. »
« Oh! Manque de chance. Vous restez combien de temps ? »
« Juste la nuit. »
« Je vous conseille donc de partir dès que vous pouvez. »
« Pourquoi cela ? »
Mathieu était interloqué. Il s’inquiéta légèrement mais préféra attendre les explications que l’homme allait lui donner.
« Et bien, l’accueil est un peu… particulier. La gérante est gentille mais un peu bizarre pour les étrangers. Ne lui dites surtout pas que je vous ai dit ça. »
« Ne vous inquiétez pas. Cela restera entre nous. »
« Merci bien. »
« Et vous, pourquoi êtes-vous là ? »
« Oh! Vous savez… je ne fais que passer aussi. Je me balade ici et là. Mais nous nous trouvons dans une bibliothèque, parlons livre. »
« Un féru de littérature, j’aime ça. »
« Vous aimez la littérature classique ? Ou vous êtes plutôt dans le style en vogue actuellement, le polar ? »
« À vrai dire, j’aime tout tant que ça me fait vivre des expériences incroyables, me faire ressentir des sensations particulières. »
« Vraiment ? »
« Je dois vous paraître un peu… décalé, étrange. »
Mathieu était gêné. Il commençait à rougir.
« Non, pas du tout. Je trouve cette vision de la littérature très intéressante. C’est la première fois que j’entends quelqu’un parler d’une telle manière. Quel est le dernier livre que vous ayez lu ? »
« Je ne me souviens plus du titre. »
« Vous ne l’avez pas aimé. »
« Non, pas vraiment. »
« C’est dommage, il ne faut pas rester comme ça. Tenez. »
L’homme prit le livre sur ses genoux. Il le referma et le tendit à Mathieu.
« Je… Non, vous êtes en train de le lire. »
« Je l’ai déjà lu cinq fois, ne vous en faites pas pour ça. Ramenez le chez vous. »
« Pardon ? Je ne vais pas le voler. »
« Il ne vient pas de la bibliothèque. Celui-ci est le mien. »
« Dans ce cas, je ne vais pas vous le prendre. »
« J’insiste. Vous en avez plus besoin que moi. »
Mathieu haussa un sourcil. Il ne comprenait pas.
« Comment ça ? »
« On ne sait jamais ce qui peut arriver. Ce serait dommage que votre dernière lecture soit une œuvre dont vous ne vous souvenez même pas du titre. »
Cette remarque mit Mathieu profondément mal à l’aise. Il ne trouva rien d’autre à faire que de saisir du livre. L’homme lui sourit, se leva et prit congé en lui souhaitant une bonne lecture et une bonne soirée.
Mathieu regarda le livre. Un ouvrage magnifique qui ne portait que le nom de son auteur. Edgar Allan Poe. Mathieu cherchait depuis longtemps l’occasion de commencer un de ses ouvrages. La coïncidence était heureuse. Mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression d’avoir passé un pacte avec le Diable en acceptant ce livre.
Mathieu partit de la bibliothèque avec des frissons dans le dos.
Quand Mathieu arriva dans la chambre, Norman était en train de ranger la carte dans ses affaires. Il avait probablement essayé de trouver une solution pour le retard prit. Mathieu voulait en profiter pour lui proposer ce qu’il avait en tête. Il entreposa le livre qu’on lui avait confié dans son sac et engagea la conversation.
« Alors, tu as trouvé un moyen de rattraper le retard ? »
« J’en suis loin » grommela Norman.
« C’est pas grave, on a qu’à supprimer des étapes. »
« J’aurais dû penser à prévoir les retards. »
« Tant pis, la prochaine fois tu prendras ça en compte. »
« Ouais. Bon, faut que je vois l’étape à oublier avec les autres. »
Norman sortit précipitamment. Mathieu le suivit et le rattrapa dans le couloir.
« Oh ! Attends. Tu devrais te calmer avant, Je vois bien que cette histoire t’énerves. »
« Non, je ne suis pas énervé…. » dit Norman en haussant la voix.
« C’est clair, ça se voit tout de suite. »
« Laisse-moi tranquille. »
Mathieu lui attrapa l’épaule pour l’arrêter dans sa marche. Norman le repoussa violemment. S’ensuivit une bagarre entre les deux frères. Chacun se repoussait l’un l’autre. Ils percutaient les murs et certains autres clients de l’hôtel commençaient à sortir des chambres pour voir d’où provenait le raffut. Mathieu essayait de le raisonner tant bien que mal en lui parlant mais rien n’y faisait. Il se résigna à lui faire entendre raison et se concentra pour l’immobiliser ce qui le calmerait. Mais Mathieu savait pourquoi son frère réagissait comme cela.
Deux mois auparavant, Norman s’est confronté avec un de ses collègues à propos du projet sur lequel ils travaillaient et que Norman avait préparé pratiquement seul. Cependant ce collègue, lui fit remarquer les différentes petites erreurs puis se l’appropria par la suite auprès de leur supérieur. Norman le prit très mal et s’ensuivit un échange de coups. Il a été reconnu seul fautif et est en sursis pour son comportement. Depuis lors, il s’énerve et craque beaucoup plus facilement. Mathieu comprenait cela mais préférait ne pas avoir à subir la colère de son frère.
La dispute s’acheva lorsque Norman agrippa son petit frère et le plaqua contre la porte d’une des chambres qui sortit de ses gonds et se fracassa par terre. Mathieu reposait sur la porte et essayait de se débattre. Norman était au dessus de lui et marmonnait quelque chose qui voulait sans doute dire « laisse-moi tranquille maintenant ». Après quelques moments restés dans cette position, les deux frères firent attention à l’endroit où ils se trouvaient. Ils se relevèrent tous les deux, bouche bée, et parcouraient du regard la chambre dans laquelle ils avaient atterrit.
Les volets fermés rendaient la chambre sombre mais la lumière du couloir permettait de distinguer la nature de l’endroit. La chambre était vide, le lit impeccablement fait, encore plus que quand ils étaient arrivés dans leur propre chambre. Cette chambre n’avait presque rien d’anormal, si ce n’était un des murs.
Le mur adjacent à la porte était couvert de photos, toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Elles étaient disposées un peu partout sur le mur. Sur les photos on pouvait voir des hommes ou des femmes, de tout âge, même des enfants, caucasiens, africains ou d’autres origines. Ces personnes étaient toutes différentes mais avaient tout de même un point commun. Ils avaient les deux paumes entaillées, la gorge tranchée et une croix latine ensanglantée qui parcourait tout le thorax. Mais le plus inquiétant ce n’était pas les photos de tous ces corps mutilés, mais plutôt une dernière photo, placée au centre de toutes, représentant une petite fille sur une balançoire et qui souriait.
Les deux frères se regardèrent, inquiets. Ils s’approchèrent des photos pour les regarder plus en détail. Ils ne pouvaient retenir le dégoût dû à la vision de ces horreurs.
L’ambiance était particulièrement malsaine. Ce n’est qu’après quelques temps qu’ils sentirent l’odeur particulière qui régnait. Une odeur exécrable. Une odeur pestilentielle. Une odeur de mort. Mathieu sortit en courant pour se diriger vers les toilettes de l’étage. Il ne put s’empêcher de vomir. Norman l’attendait en dehors de la chambre. Il discutèrent quelques instants et se mirent d’accord. Ils devaient en parler avec la gérante et lui demander une explication.
La gérante de l’hôtel Boisdoré se tenait derrière le comptoir et attendait, immobile. Elle resta ainsi jusqu’à l’arrivée de Jennifer et Charlie qui étaient descendus pour ne pas rester dans leur petite chambre et se détendre les jambes.
« Vous avez besoin d’aide ? Pour quoi que ce soit. »
Le couple se retourna et s’approcha.
« Non merci. Tout va très bien. Vous êtes seule à vous occuper de ça ? »
« Mon mari est avec des amis pour l’instant, je ne sais pas à quelle heure il rentre. »
Ils commencèrent à discuter. Lorsque Jennifer s’intéressa à elle, ses yeux s’illuminèrent. Elle commença à parler et semblait ne plus pouvoir s’arrêter. Elle parla un peu de sa vie, de l’histoire de l’hôtel. Les deux jeunes gens l’écoutaient avec attention. Elle raconta son enfance, où elle passait beaucoup de temps avec ses grand-parents, dans ce même hôtel. Sa grand-mère était la propriétaire originel de l’hôtel qu’elle légua à sa petite-fille en qui elle se retrouvait, elle avait l’impression de se voir plus jeune. Elle parla de l’origine du nom de l’hôtel. C’était très simple. Le nom premier fut « Bois d’orée » car dans le temps, avant que la forêt n’envahisse tout le domaine, le bâtiment était situé à la lisière, à l’orée du bois. Avec le temps il fut légèrement transformé et devint le « Boisdoré » de maintenant. Jennifer trouvait charmante l’histoire de cet hôtel et de ses propriétaires.
La gérante parla ensuite d’elle-même et des épreuves qu’elle avait subi. Elle raconta la fois où elle faisait des courses en ville et au moment d’aller prendre le bus, en traversant la rue, une voiture arriva en trombe, poursuivit par une voiture de police, et la renversa. Elle précisa qu’elle n’avait pas senti le choc, juste la sensation de s’envoler et de retomber. Même la choc n’avait pas été douloureuse. Suite à cela elle eut le bras gauche paralysé et une irrépressible peur de l’extérieur. Depuis cette date elle restait constamment dans son hôtel, son mari s’occupant de toutes les tâches en extérieur.
Elle continua ses récits avec la manière dont elle avait rencontré son mari et autres anecdotes personnelles. Charlie commençait à en avoir marre, mais il restait pour écouter, Jennifer étant passionnée par ce genre d’histoires, les histoires personnelles. Il restait pour elle.
Au moment où Mathieu et Norman descendaient les escaliers et arrivèrent au rez-de-chaussée, tout près de l’accueil, ils furent bousculés et dépassés par quelqu’un qui descendait en trombe.
C’était la Duchesse De Mirabeau. Elle s’avançait, un sac à la main, en murmurant quelques mots en boucle.
« Non, pas encore… pas encore, je dois m’en aller… m’en aller, partir… il faut que je parte, il faut qu’il parte… »
La gérante essaya de la retenir mais la Duchesse était lancée vers la sortie et rien ne l’arrêta. Tout le monde entendit sa voiture démarrer et partir au loin. Elle ne revint pas. Pas une seule fois.
Tout le monde était surpris de voir la Duchesse agir ainsi. Elle semblait calme. Une attitude impulsive comme celle qu’elle avait montré ne semblait pas lui ressembler. La gérante le confirma. Les deux frères annoncèrent ce pourquoi ils étaient descendus. Norman engagea la conversation.
« Excusez-moi madame, mais il faut appeler la police. »
« C’est impossible. »
« Pourquoi donc ? »
« Pourquoi pensez-vous avoir besoin de la police ? »
« Peu importe, dépêchez-vous d’appeler la police. »
« C’est impossible je vous dis. »
« Mais c’est pas croyable… »
Norman quitta la pièce en furie. Charlie le suivit pour essayer de le calmer. Les deux sortirent dehors par la porte de derrière. Mathieu ne s’étonna qu’à moitié de la réaction de son frère tandis que Jennifer se demandait quelle mouche l’avait piqué.
« Pourquoi on ne peut pas appeler ? »
« Les lignes sont coupées. Le téléphone ne marche plus. Pourquoi en aviez-vous besoin ? »
« Nous sommes rentrés, sans le faire exprès, dans une autre chambre. »
« Quel manque de respect pour mes autres clients. »
« Madame, il y a une chambre étrange avec pleins de photos de meurtres. »
« Ah ! Je vois. Cette chambre. Ne vous inquiétez pas, c’est normal. »
La gérante commençait à partir. Ils la regardèrent avec des yeux ronds. Elle le remarqua et s’arrêta.
« Qu’y a-t-il ? »
« Comment cela, c’est normal ? »
« Oh ! Oui, ne vous inquiétez pas. Cette chambre est inoccupée depuis près de cinq ans maintenant. »
« Cinq ans ? »
« Oui, d’ailleurs je crois que ça fait cinq ans aujourd’hui, maintenant que vous le mentionnez. »
« Mais que s’est-il passé il y a cinq ans ? »
« Un tueur en série résidait dans cette chambre sans que nous le sachions. »
« Vraiment ? Et où est-il ? »
« En prison, la police l’a appréhendé. Et ils ont demandé de laisser la chambre en état jusqu’à leur retour. Mais ils ne sont jamais revenus. Alors je laisse la chambre, au cas où, et je ne la donne pas aux clients. »
« C’est incroyable comme histoire. »
« Si vous pouviez éviter d’en parler, il a traumatisé de nombreuses personnes dans les villes voisines. »
« Bien sûr. »
Jennifer et Mathieu s’éloignèrent du comptoir. Ils discutèrent un peu tandis qu’ils montaient dans leur chambre. Mathieu raconta à quelle point les photos de victimes étaient horriblement déroutantes. Cette hôtel était de plus en plus malsain.
Norman marchait vite, sans direction particulière. Juste le plus loin possible. Charlie peinait à le suivre. Quand il le rattrapa finalement il essaya de le convaincre de rentrer. Mais Norman était encore sur les nerfs.
« Pourquoi elle ne veut pas qu’on appelle la police cette folle ? »
« Ce n’est pas la peine de s’énerver pour ça. »
« Cet endroit est pourri. Cet hôtel est pourri. Cette situation est pourrie. »
« Mais nan, y’a pire. »
« Laisse-moi, je vais me calmer tout seul. »
« Je reste avec toi dans ce cas. »
« Pourquoi ? Va plutôt retrouver Jennifer. »
« Pour te tenir compagnie. Et Jenny peut très bien se débrouiller toute seule. Ta sœur est suffisamment grande pour ça maintenant. »
Bien que ce dernier point était vrai. Charlie détestait être séparé de Jennifer. Ils restaient la plupart du temps ensemble, se retrouvant seuls le moins possible. Cela ne les dérangeait ni l’un ni l’autre. Ils vivaient l’amour et ce depuis le premier jour. Ils se sont rencontrés dans la même classe au lycée. Charlie ne mit pas longtemps pour déclarer sa flamme. Il ne sont jamais sortis ensemble mais il avait réussi à l’amener sur un pont, au coucher du soleil, sans savoir ce qui l’attendait ni qui l’attendait. Une de ses amies avait joué le jeu jusqu’au bout pour aider le chevalier romantique dans son acte. Elle accepta immédiatement.
Charlie avait eu l’approbation de toute sa belle-famille. Il était même presque considéré comme un frère par Mathieu et Norman. Cependant il parlait très peu, ne se confiait qu’à Jennifer, ce qui fait qu’ils ne le connaissaient pas vraiment. Derrière son air assuré se cachait en fait quelqu’un de maladroit, hésitant, faisant presque toutes les erreurs qu’il pouvait faire. Jennifer trouvait ça charmant.
Le couple n’avait pas l’habitude de voyager loin avec d’autres personnes. C’est d’ailleurs la première fois qu’ils le faisaient. Ce fut d’ailleurs la première rencontre entre Charlie, Samuel et Samantha, qui se loupaient à chaque fois dans la maison des Mirnin.
Charlie avait l’intention de demander en mariage sa compagne durant le voyage. Il avait déjà demandé l’approbation de ses beau-parents. Il savait qu’ils devaient se retrouver dans de nombreux endroits qui seraient parfaits pour une telle demande, mais il ne savait lequel choisir. Il saura lequel lui conviendrait le mieux quand il s’y trouverait. Il avait juste à attendre un peu.
Norman continuait de s’enfoncer dans la forêt. Il arriva à un butte où se trouvait une clairière en contrebas. Descendre serait trop dangereux. Il s’arrêta alors. Il se laissa tomber par terre. Il était allongé sur le sol, l’herbe arrivant à hauteur du visage. Il se détendait. C’était le meilleure méthode qu’il connaissait pour se relaxer : marcher et s’allonger dans l’herbe. Charlie qui le suivait toujours fit de même. Ils fermèrent les yeux et discutèrent.
Après une dizaine de minutes, ils remarquèrent du bruit venant de la clairière. Ils s’approchèrent un peu, toujours allongés, et virent plusieurs personnes, ils en comptèrent neuf, avec des costumes étranges et des torches. Ils n’entendaient pas ce qu’il se disaient mais ils observaient avec attention. Un d’entre eux faisait de grands gestes et semblait avoir l’attention de tout le monde. Le chef, sans doute.
À force d’observation, Norman cru reconnaître le mari de la gérante de l’hôtel. Charlie confirma. Cela ressemblait de plus à un rituel d’une secte quelconque. Norman commenta qu’ils sacrifieront probablement une pauvre bête trouvée dans la forêt. Charlie réfléchit un instant et regarda Norman.
« Tu sais, si on était dans un film d’horreur, ce serait à ce moment-là que quelqu’un se trouverait derrière nous pour nous assommer et ensuite nous sacrifier. »
Norman regarda Charlie droit dans les yeux. Ils hésitèrent et tournèrent ensemble la tête lentement pour regarder derrière. Personne. Ils ne voyaient personne. Ils ressentirent tous les deux un soulagement. Ils se regardèrent à nouveau et éclatèrent de rire. Ils se focalisèrent sur le rituel à nouveau.
Ils n’étaient plus que huit. Quelqu’un manquait. Norman repensa à la remarque de Charlie et commença à avoir un peu peur. Il fut rassurer en le voyant revenir, avec de la compagnie. Il ne fut cependant pas rassurer de voir la personne qu’il avait amené. Il s’agissait de Sophia. Elle était attachée, bandée au niveau des yeux et bâillonnée. Charlie était persuadé qu’elle se trouvait dans sa chambre, qu’elle se reposait, mais c’était bien elle.
Charlie s’apprêta à bondir pour aller la chercher. Norman le retint par la manche.
« Qu’est-ce que tu fais ? Il faut aller l’aider. »
« Ils ne vont quand même pas la tuer. On voit ça que dans les films. »
« Ils faut faire quelque chose. »
« Je vais aller chercher de l’aide. Toi tu restes ici, et tu surveilles. »
Charlie n’eut pas le temps de répondre que Norman était déjà parti. Il ne fut très vite plus visible. Charlie restait, attendait, et assistait à la suite du rituel. Il n’aimait pas cette situation.
Sophia était paniquée. Elle ne voyait rien. Elle était attachée. Elle entendait des bruits. Elle sentait quelqu’un le pousser. Elle ne comprenait rien de ce qu’il se passait.
Elle s’arrêta finalement. Quelqu’un parlait. Parlait d’elle. L’insultait de tous les noms. Elle avait de plus en plus peur. Elle ne méritait pas un tel traitement. Du moins c’est ce qu’elle pensait. Tout ce qu’elle avait fait de mal dans toute sa vie c’était de tomber amoureuse du copain de sa meilleure amie, ce qu’elle regrettait. Elle ne voulait rien tenter, elle vivait juste avec des sentiments qui s’amenuisaient avec le temps. Elle en avait parlé avec Jennifer, qui comprenait, et qui lui pardonna. Il n’y eut jamais de problèmes. Et elle serait bientôt débarrassée de ces sentiments détestés.
Le bandeau lui fut enlever. Mais le bâillon était toujours présent. Elle avait envie de crier, de demander de l’aide. Elle était désormais maintenue par deux hommes en tunique blanche. Un troisième s’approcha. Elle regardait tout autour d’elle. Elle reconnut le mari de la gérante. Elle était complètement perdue. Puis elle se rappela certains événements de la soirée. Juste après le repas, où elle l’avait bousculé sans le faire exprès, lui renversant la saucière qu’il tenait sur ses vêtements. Elle n’avait même pas remarqué que cela était arrivé. Ce n’est qu’après, quand il est venu réclamer des excuses qu’elle l’apprit. Mais elle ne s’excusa pas. Selon elle, des excuses ne se demandent pas, elles viennent d’elles-même. Il s’énerva alors et partit en grommelant. Elle espérait vraiment qu’elle n’était pas là pour ce manque de respect.
La suite du rituel l’inquiéta grandement. Particulièrement quand l’instigateur s’approcha avec un poignard. Elle avait peur de mourir. Elle ne voulait pas mourir. C’était injuste. L’homme était à son niveau. Elle n’eut pas le temps d’essayer de parler. Le poignard s’enfonça dans son ventre. Elle sentit juste une simple petite pression, mais voyait la lame rentrer dans son ventre. Elle poussa un râle étrange. Le poignard remonta jusqu’à son thorax. Elle se sentait partir. Mais juste avant elle entendit un cri, au loin. Charlie ? Non, ce devait être son imagination. Elle était seule. Elle ferma les yeux pour ne jamais les rouvrir.
Mathieu se tenait devant la porte de ses meilleurs amis. Il s’inquiétait du fait que son frère n’était toujours pas revenu. Peut-être était-il ici. C’est ce qu’il espérait. Il frappa à la porte. Personne ne répondait. Il écouta à la porte. Pas un bruit. Ils étaient exténués, peut-être qu’ils dormaient. Mais Mathieu préférait s’en assurer.
Il ouvrit la porte. Il sentit dès l’instant où il tourna la poignée que quelque chose n’allait pas. Il avait presque peur d’aller plus loin. Il reconnut une odeur. Il ne voulait voir ce qui se trouvait dans cette chambre. Il le savait déjà. Il le sentait. Il l’avait dans ses tripes. Il rentra finalement dans la pièce.
Horreur.
Tragédie.
Désespoir.
Mort.
Mathieu ne pouvait plus penser. Il ne pouvait plus réfléchir. Tout ce qu’il avait en tête c’était ces quatre mots. Le jeune homme était en train de contempler les corps de ses meilleurs amis. Ils étaient étendus sur le lit. Ils avaient les paumes entaillées, la gorge tranchée et une croix latine sur leur thorax que l’ont pouvait voir à travers leurs vêtements. Le point qui réconforta Mathieu, en considérant que l’on puisse être réconforté d’une telle situation, était que leurs mains étaient l’une dans l’autre. Au moins, ils sont partis ensemble.
Mathieu crut entendre quelque chose au dehors, à travers la fenêtre et s’y précipita. Il faisait noir, il voyait très mal, mais il distingua une personne courir dans la forêt, s’éloignant de l’hôtel.
Il n’hésita pas une seconde sur ce qu’il fit ensuite. Il se rua dans la chambre de sa sœur, ne prenant même pas la peine de frapper. Surprise, elle essaya de comprendre ce qu’il se passait, bafouillant presque à chaque mot.
« Qu… qu… qu’est-ce qui t… te prends ? »
« Vite, il faut partir. »
« Pourquoi ? »
« Samuel et Samantha ont été tués. Ils sont… morts… »
« Quoi ? »
Jennifer cria pratiquement à plein poumon pour cette dernière question. Mathieu la prit par le bras et la tira hors de la chambre.
« Il faut aller chercher Sophia, et après faudra rechercher Norman et Charlie. Ils ne sont toujours pas revenus, n’est-ce pas ? »
« Non, je ne crois pas. »
« J’espère qu’il ne leur est rien arrivé. »
« Frérot ? »
« Oui ? »
« J’ai peur. »
« Moi aussi. »
Ils allèrent jusqu’à la chambre de Sophia qui était également vide. Ils restaient silencieux. La peur les empêchait de parler. Ne trouvant personne, ils retournèrent voir Barbara, la gérante de l’Hôtel Boisdoré pour la prévenir de la situation.
Norman avait enfin l’hôtel en vue. Il avait couru depuis la clairière et était essoufflé. Mais il devait trouver de l’aide. Sophia était peut-être en danger. Tandis qu’il continuait de courir, il aperçut quelque chose d’étrange. Un homme descendait d’un fenêtre, le long du mur couvert de plantes rampantes. Il s’arrêta pour l’observer. Après avoir cogité quelque peu, il se rendit compte que la fenêtre ouverte d’où sortait ce fuyard était celle de Samuel et Samantha. L’homme s’enfuit alors dans les bois.
Norman s’avança jusqu’en bas de la fenêtre. Il vit du sang par terre. Ni une ni deux, il se lança à la poursuite de l’intrus. Tandis qu’il s’enfonçait dans la forêt, il entendit du bruit qui semblait provenir de la chambre. Norman se rassura, ses amis étaient sûrement en vie. Mais il devait retrouver cet homme pour avoir des explications.
Norman Mirnin fatiguait. Mais il rattrapait son poursuivant. Ce dernier le remarqua et tenta d’accélérer. L’un comme l’autre commençaient à ralentir, ne pouvant plus fournir d’effort supplémentaires. Mais Norman était guidé par une volonté supérieure. C’est pourquoi il finit par le rattraper. Il lui sauta dessus et le fit tomber à terre.
S’ensuivit une longue lutte entre les deux. Ils se rendaient coup pour coup. Le fuyard essayait d’attraper son couteau tombé à terre mais Norman ne le laissait pas faire. Il parvint finalement à l’immobiliser. Il en profita pour lui demander ce qu’il voulait savoir.
« Qui es-tu ? Que faisais-tu dans la chambre de mes amis ? »
« Oh ! C’était donc tes amis ? »
« Qu’as-tu fait ? »
« Eheh ! Je pense que tu le sais. »
« Non, je ne le sais pas. »
« J’étais juste venu récupérer une photo. »
« Une photo ? »
« Celle de ma petite fille. »
« Tu… tu…? »
« Oh ! Tu as vu la photo ? Cela veut dire qu’elles y sont encore ? En tous les cas, si tu les as vu, tu sais ce qui est arrivé à tes amis. »
« Non, tu as…? Non… »
« Tu n’as rien à voir avec eux. »
« Tais-toi. »
« Toi, tu es fort, très fort, autant physiquement que mentalement. »
« Ferme-la. »
« Eux… ils étaient faibles. Ils l’ont mérité. »
« Ta gueule je te dis. »
« Toi, tu mérites de vivre. Ta mort serait injuste. »
« Mais tu vas fermer ta gueule à la fin ? »
Norman, fou de rage, le frappa violemment au visage plusieurs fois d’affilé. Son poing était ensanglanté. Il perdait petit à petit à sa rage. Le tueur en profita pour le repousser. Norman ne remarqua qu’il avait récupéré son arme. Au moment de repasser à l’assaut, ils entendirent un cri tout proche. Ils virent Charlie foncer droit sur eux. Surpris, ils restèrent immobiles. Charlie, profitant de l’effet de surprise, sauta la tête la première sur le tueur. Ce dernier, en réflexe pour se défendre, essaya de brandir le petit couteau qu’il tenait la main. Charlie tomba de tout son poids sur son assaillant mais le couteau se planta profondément dans sa cuisse ce qui lui arracha un cri de douleur. Il roula sur le côté et se tint la cuisse. Le tueur en profita pour détaler comme un lapin. Norman s’approcha immédiatement de Charlie pour lui venir en aide.
« Tu es difficile à retrouver, cher beau-frère. »
« Ta jambe, ça va ? »
« Oui, va plutôt le poursuivre. »
« Non, ta vie est plus importante. »
Norman avait perdu tout sentiment de vengeance. Il aida Charlie à se relever. Tout deux rentrèrent jusqu’à l’hôtel. Charlie parla ce dont il avait été témoin.
« Sophia, ils l’ont tué. »
« Je crois qu’ils ont fait pareil à Samuel et Samantha. »
« C’est horrible ! Quel est cet endroit ? L’enfer ? »
« Pire, c’est le monde réel. »
Ils finirent le trajet en silence.
Mathieu et Jennifer étaient arrivés jusqu’au comptoir où se trouvait toujours la gérante. Ils étaient toujours autant paniqués.
« Madame, il faut faire sortir tous les clients. »
« Hors de question. Pour quelle raison je ferais ça ? »
« Deux de nos amis ont été tués et trois autres sont introuvables. »
« C’est tragique, mais personne ne partira. »
« Madame, vous n’avez pas l’air de comprendre. Le tueur, d’il y a cinq ans, il est revenu. »
« Non, c’est vous qui n’avez pas l’air de comprendre. Personne ne partira. »
Cette dernière phrase était particulièrement insistante. Mathieu commençait à s’inquiéter. Le cauchemar n’était pas prêt de s’arrêter. Il ne dit rien. Il fit signe à sa sœur et se dirigea vers la sortie. Comme il s’y attendait, la femme lui bloqua le chemin.
« Personne ne doit sortir. »
« Pourquoi cela ? »
« Parce qu’une personne qui part est une personne insatisfaite. Or je ne veux pas de personnes insatisfaites dans mon hôtel. »
« Madame, laissez-nous passer. »
« Jamais. »
« Je vais être obligé d’utiliser la force. »
« Je ne bougerai pas. »
Mathieu l’ignora et tenta de forcer le passage. Elle s’interposa à nouveau. Mathieu essaya de la repousser mais elle résistait particulièrement bien pour une femme de son âge. Elle se montrait même assez violente. Mathieu se faisait déborder. Il tomba même à terre. Jennifer, ne pouvant laisser son frère se faire malmener, attrapa la première chose qui lui passa sous la main : le téléphone. Elle le souleva et le fracassa sur la tête de la pauvre femme qui s’effondra.
Charlie boitait mais Norman était là pour le soutenir. Ils étaient finalement arrivés jusqu’à l’hôtel. Il ne leur restait plus qu’une chose à faire : retrouver le frère et la sœur de Norman, en espérant que rien ne leur soit arrivé.
En rentrant dans le bâtiment, ils eurent la surprise de constater que Jennifer et Mathieu étaient déjà là. Ce dernier était à genou, penché sur un corps par terre, celui de la gérante. Jennifer, en voyant son cher et tendre blessé, se précipita vers lui pour l’aider.
« Tu vas bien ? »
« Ce n’est rien, t’en fais pas. »
« Que s’est-il passé ? »
« J’ai sauvé la peau de ton frère. »
« N’exagérons rien, intervint Norman. Je m’en serais sorti tout seul. »
« Vite il faut partir. »
« Oui, je sais. Elle est morte ? »
Tous regardèrent la gérante étalée par terre. Il y eut un moment de silence. Mathieu répondit enfin.
« Non, juste inconsciente. »
Mathieu se releva, s’approcha de son frère et lui avoua l’inavouable.
« Écoute mon frère, il faut que je te dise quelque chose. »
« Je sais. »
« Samuel et Samantha sont morts. »
« Je sais. »
« Comment tu peux le savoir ? »
« J’ai poursuivi leur tueur, je lui ai défoncé la tête. »
« Tu l’as tué ? »
« Non, il s’est enfui. Et ça n’aurait servi à rien. »
« Je comprend. »
Les deux frères se mirent à pleurer en même temps. Pendant ce temps, Charlie raconta à sa dulcinée se qui était arrivé à sa meilleure amie. Elle fondit en larme dans ses bras. Le moment d’émotion dura quelques minutes, où le silence et la tristesse régnaient en maitre. Il était désormais temps pour eux de partir, plus rien ne les retenait ici.
Au moment où les quatre survivants allaient franchir la porte d’entrée, ils entendirent celle de derrière s’ouvrir. Ils se retournèrent tous en même temps. Il s’agissait du mari. Charlie se sentit bouillir. Il s’apprêta à lui foncer dessus mais Norman l’en empêcha. Ils devaient partir et non se battre. Le mari remarqua sa femme allongée par terre. Ses yeux s’écarquillèrent.
« Vous l’avez tué ? »
Norman s’avança d’un pas. Il était sûr de lui mais devait se méfier de son interlocuteur.
« Vous avez tué notre ami. »
Il n’y eut aucun ton dans sa voix. Elle était neutre, inexpressive.
« Et non, votre femme n’est pas morte. »
« Que lui avez-vous fait ? Elle est fragile, sensible. »
« Elle ira bien, ne vous en faites pas. »
« Vous êtes sûr ? »
« Oui, mais nous devons partir. »
Norman lui tourna le dos s’apprêta à sortir. Le mari faisait non de la tête. Il n’acceptait pas cela. Il alla derrière le comptoir avant que ses clients puissent sortir. Il en sortit un fusil de chasse. Il visa au hasard.
« Vous ne partirez pas. »
Tous tournaient le dos à cet homme mais Mathieu pressentit que quelque chose allait se produire et se retourna. Il vit le canon du fusil pointé vers eux. Il voulut crier pour les prévenir mais n’eut pas le temps. Ils étaient au niveau de la porte d’entrée. Elle était déjà ouverte. Ils étaient presque sorti, ils avaient juste besoin de quelques secondes de plus. Le mari tira. Norman fut atteint dans le dos et s’écroula dans les bras de son frère qui tomba également sous son poids. Un autre coup fut tiré mais ne toucha personne. Mathieu regardait son frère qui ne réagissait plus.
Horreur.
Tragédie.
Désespoir.
Mort.
Juste quatre mots. Rien de plus. Tout le reste n’existait plus l’espace de quelques instants. Il ne réagissait même plus. Pendant que le mari rechargeait son arme, Charlie souleva Norman du mieux qu’il put, malgré sa blessure, et le transporta au dehors jusqu’à la voiture. Jennifer aida Mathieu à se relever. Il était apathique. Il n’était plus rien.
Il ne savait pas comment mais il s’était retrouvé dans la voiture, juste à côté de son frère. Jennifer conduisait. Ils étaient sur la route. Ils étaient même sortis de la forêt. On pouvait entendre You were always on my mind à la radio. La chanson préférée de Norman. La voiture s’arrêta devant un hôpital. Ils emmenèrent Norman. Ils emmenèrent Charlie. Seul Charlie revint. Il avait la jambe bandée. Norman ne revint jamais. La police arriva peu après. Ils posèrent beaucoup de questions. Puis ils repartirent. Jennifer regarda son frère dans les yeux et le prit dans ses bras. Elle pleurait. Elle pleurait énormément.
Mathieu sortit de sa catatonie. Il aida la police du mieux qu’il put. Le tueur en série fut arrêté. Le mari fut arrêté. Il expliqua qu’il n’avait rien choisi, qu’il avait juste suivi son maître. Ce maître fut arrêté. C’était un des clients de l’hôtel qui restait silencieux, qu’aucun ne vit durant leur séjour. Même Charlie ne le reconnut pas, l’ayant vu uniquement avec une tunique. Toutes les autres personnes présentes lors du rituel furent arrêtés. Mais rien n’avait d’importance.
Le retour à la réalité fut difficile pour tout le monde. Surtout lors de l’enterrement de Norman. Ce fut particulièrement douloureux pour Mathieu. Il pensa au drame qui avait eu lieu quelques jours plus tôt. Il se demanda pourquoi. Il cherchait quelqu’un à blâmer. Il ne trouvait que lui-même qui n’avait pas su protéger sa famille et ses amis. Cette pensée ne le quittera jamais totalement.
Il dit adieu à son frère avec quatre mots en tête qui ne le quittèrent plus jamais.
Horreur. Tragédie. Désespoir. Mort.